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CHRONIQUES DE J. FROISSART.


CHAPITRE LXXI.


Comment le comte de Bouquinghen et sa route tirèrent pays pour venir en Bretagne ; et d’aucunes choses sur la mort du roi Charles de France.


Quand le comte de Bouquinghen et les routes se départirent de la forêt de Marcheausnoi en la comté de Blois, ils cheminèrent vers Vendôme et vers la forêt du Coulombier ; et étoient ceux de l’avant-garde trop courroucés de ce que ils ne trouvoient mais nulle aventure. Ce propre jour que ils se délogèrent de la forêt du Coulombier et que ils chevauchoient près de Vendôme, l’avant-garde chevauchoit tout devant, ainsi que raison est. Si chevauchoient ensemble messire Thomas Trivet et messire Guillaume Clinton, environ quarante lances : si rencontrèrent d’aventure sur le chemin le seigneur de Hangiers qui s’en venoit à Vendôme, et avoit en sa route environ trente lances. Les Anglois connurent tantôt que c’étoient François : si éperonnèrent chaudement sur eux et abaissèrent les glaives. Les François, qui ne se véoient pas à jeu parti, n’eurent talent d’attendre, car ils étoient près de Vendôme : si éperonnèrent celle part pour eux sauver, et Anglois après eux, et François devant. Là furent rués jus de coups de lances Robert de Hangiers, cousin au seigneur, Jean de Montigny et Guillaume de Lannoy, et encore cinq ou six, et furent tantôt enclos, et les convint rendre prisonniers ou pis finer. Le sire de Hangiers vint si à point à la barrière qu’elle étoit ouverte : si descendit et entra dedans, et puis prit son glaive, et se mit vaillamment en défense, et furent petit à petit les compagnons recueillis ; et ainsi qu’ils venoient et descendoient ils se mettoient à défense. Toutefois il en y eut de prisonniers jusques à douze, et puis retournèrent les Anglois. Ainsi alla de celle aventure.

Messire Robert Canolle et sa route encontra et trouva le seigneur de Mauvoisin et sa route : si se férirent l’un dedans l’autre Anglois et François, car ils étoient assez à jeu parti ; et ne daigna le sire de Mauvoisin fuir, mais se combattit à pied moult vaillamment. Et finablement messire Robert Canolle le prit de sa main ; et fut son prisonnier. Et ce jour passa l’ost devant Vendôme et la rivière de Loire, et vint loger et gésir à Ausne en la comté de Vendôme, et le lendemain à Saint-Calais, et là se reposa l’ost deux jours. Au tiers jour ils se délogèrent et vinrent à Lusse et le lendemain au Pont à Volain.

Ainsi cheminoient les Anglois et ne trouvoient à qui parler, car nul ne leur ailoit au devant : si étoit tout le pays chargé et rempli de gens d’armes, et en y avoit à merveille grand’foison en la cité du Mans et en la cité d’Angers. Et s’en vint adonc le duc d’Anjou par Tours en Touraine et par Blois et par Orléans, à Paris ; car il entendit que le roi son frère aggrévoit moult, et qu’il n’y avoit point de retour : si vouloit être à son trépas. Et pour ce ne se départoient mie les gens d’armes de leurs garnisons, mais poursuivoient et côtoyoient les Anglois à leur loyal pouvoir, sans eux abandonner entre eux trop avant. Et ordonnèrent les gens d’armes de France, qui connoissoient les passages des rivières, que sur la rivière de Sartre, laquelle il convenoit les Anglois passer pour ce qu’ils faisoient ce chemin, ils les ensoingneroient malement ; et les enclorroient s’ils pouvoient au pays, par quoi il les affameroient ; et puis les auroient à volonté et les combattroient à leur avantage, voulsist le roi de France ou non. Si firent les seigneurs de France, qui le plus étoient usés d’armes, sur le passage par où il convenoit aux Anglois passer en la rivière de Sartre, avaler gros merriens aiguisés, et férir à force en la rivière, par quoi eux ni leur charroi ne pussent passer. Encore au descendant de la rivière, au prendre terre, ils firent fosser grands fossés parfons, par quoi on ne pût arriver. Ainsi ordonnèrent-ils leurs besognes pour donner plus grand empêchement aux Anglois.

Or cheminèrent le comte de Bouquinghen et sa route, quand ils se départirent du Pont Volain ; et passèrent la forêt du Mans, et vinrent sur la rivière de Sartre, Et là s’arrêta tout l’ost ; car ils ne trouvoient ni véoient point de passage, car la rivière est grosse et parfonde, et trop male à passer, si ce n’est sur les certains pas où on la passe sur ponts. L’avant-garde qui chevauchoit devant avoit quis et cerché, et cerchoit dessus et dessous la rivière à tous lez ; mais ils ne trouvoient point de passage, fors en ce lieu où le mairien étoit mis et planté à force dans la rivière, Adonc descendirent les seigneurs et imaginèrent le passage, et dirent : « Par ci, si nous voulons aller outre, nous faut passer, car ailleurs ne trouverons-nous point de passage. Or