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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

n’avoient eu ; car le roi Charles de France de bonne mémoire, leur guerre durant, leur avoit été moult propice, pourtant qu’il n’aimoit qu’un petit le comte de Flandre.

Or parlerons des Anglois, et puis retournerons au couronnement du jeune roi Charles, et recorderons petit à petit les termes de son règne et quels choses lui avinrent.


CHAPITRE LXXII.


Comment le comte de Bouquinghen et son armée exploitèrent tant qu’ils vinrent à Chastelbourg en Bretagne, et là s’arrêtèrent.


Encore ne savoient rien les Anglois qui avoient passé la rivière de Sartre en grand péril, de la mort du roi de France ; et étoient logés à Noyon sur Sartre, et là se rafreschirent et reposèrent deux nuits et un jour. Au second jour ils se délogèrent et s’en vinrent à Poilly, et se logèrent à deux petites lieues de Sablé. Et étoit tout le pouvoir de France en la cité du Mans et là environ ; mais ils ne foisoient que costier les Anglois ; et disoient les aucuns que on les combattroit. Quand les nouvelles vinrent aux uns et aux autres que le roi de France étoit mort, adonc se dérompit le propos des François ; car plusieurs grands barons qui étoient en la poursuite des Anglois se délogèrent et s’en vinrent en France pour savoir des nouvelles. Et demeurèrent les Anglois à Poilly trois jours : au quatrième ils s’en partirent et vinrent tout sauf jusques à Saint-Pierre d’Arne et vinrent loger à Argentré ; et passa l’ost lendemain la rivière de la Mayenne parmi un marais que ils ne pouvoient aller que deux ou trois de front, le plus du chemin qui bien dura deux lieues. Or regardez, si les François sçussent ce convenant et que ils eussent assailli l’avant-garde, l’arrière-garde ne les eût pu conforter, ni l’avant-garde l’arrière-garde ; et se doutèrent moult les Anglois de cette affaire. Toutes fois ils passèrent outre et vinrent loger à Cossé, et là furent quatre jours en eux reposant, et rafreschissant eux et leurs chevaux, et espéroient tous les jours à ouïr nouvelles de Bretagne. Le duc de Bretagne se tenoit à Hainbont en la marche de Vennes, et oyoit souvent nouvelles des Anglois comment ils approchoient durement Bretagne. Si ne savoit encore comment il se cheviroit ; car, quand on lui recorda la mort du roi de France, il l’eut tantôt passée et n’en tint oncques compte ; car il ne l’aimoit que un petit, et dit adonc à ceux qui de-lez lui étoient : « La rancune et haine que j’avois au royaume de France, pour la cause de ce roi Charles qui est mort, est bien affaiblie de la moitié ; tel a hay le père qui aimera le fils, et tel a guerroyé le père qui aidera au fils. Or faut-il que je me acquitte envers les Anglois, car voirement les ai-je fait venir à ma requête et ordonnante et passer parmi le royaume de France ; et me faut tenir ce que je leur ai promis. Or y a un dur point pour eux et pour moi ; car j’entends que nos bonnes villes de Bretagne se clorront ni point dedans ne les laisseront entrer. » Adonc appela-t-il aucuns de son conseil, tels que le seigneur de Mont-Bourchier, messire Étienne Guyon, messire Guillaume Tanneguy, messire Eustache de la Houssoye, messire Geffroy de Kaermiel, et leur dit : « Vous chevaucherez devers monseigneur de Bouquinghen, qui approche durement le pays de Bretague ; vous le trouverez assez près, comme je crois. Vous me recommanderez à lui, et me saluerez tous les barons, et leur direz de par moi que temprement je serai à Rennes à l’encontre d’eux, et qu’ils tiennent ce chemin, et que là aurons-nous ensemble avis et ordonnance comment nous nous maintiendrons. Et leur dites bien que je ne trouve pas mon pays en convenant où il étoit quand je envoyai en Angleterre ; dont il me déplaît grandement, et par espécial de ceux de Nantes qui sont plus rebelles que nuls des autres. » Ces chevaliers répondirent que volontiers ils feroient ce message. Si se partirent du duc, et de Hainbont et chevauchèrent devers Rennes ; et étoient environ soixante lances. Et les Anglois, partirent de Cossé quand ils s’y furent reposés quatre jours, et entrèrent en la forêt de Gramelle et la passèrent au travers et s’y logèrent une nuit et un jour, et lendemain ils vinrent à Vitré en Bretagne. Là furent-ils plus assurs que ils n’eussent oncques été, car bien savoient qu’ils ne seroient plus poursuis des François, ainsi comme ils avoient été en devant. De Vitré en Bretagne, où ils furent trois jours, vinrent-ils à Chastel-Bourg[1] et là se logèrent et arrétèrent,

  1. Quelques manuscrits disent Château-Briand, mais cette leçon ne peut être bonne, Château-Briand n’étant pas dans cette direction et se trouvant plus bas hors de leur route.