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LIVRE II.

ils fissent ainsi et que en la saison un passage des Anglois se feroit de rechef en Normandie, et prendroient terre à Chierbourch, et se trouveroient ces deux osts en Normandie, pourquoi quand ils seroient tous ensemble, ils pourroient faire un très grand fait en France. Le roi de France, ses oncles et tout le conseil imaginèrent bien tous ces points, et en étoient aucunement avisés et informés ; et disoient bien entre eux, en secret conseil, que si le duc de Bretagne et aucuns de ses villes et de ses gens étoient contraires au royaume de France, avec la puissance d’Angleterre, que le royaume de France pour une saison auroit à porter trop dur fais. Pourquoi ces quatre barons de Bretagne qui représentoient le duc et qui concevoient bien toutes ces affaires avoient mis ces doutes avant, et espécialement ils s’en étoient découverts au duc d’Anjou qui avoit le souverain gouvernement, pour le temps, du royaume de France. Et le duc d’Anjou, qui tendoit à faire un grand voyage et de aller dedans deux ans en Pouille et en Calabre, ne vouloit mie que le royaume de France fût si ensoigné que son voyage en fût rompu ni retargié ; si s’inclinoit grandement à ce que le duc de Bretagne vint à paix, afin qu’il demeurât bon François et loyal, et homme de foi et de hommage au roi de France.

Tant fut parlementé et traité par les quatre barons dessus nommés[1], que le duc de Bretagne vint à accord et pouvoit sans forfait adresser et aider les Anglois de navires pour r’aller en Angleterre. Encore mit le duc de Bretagne en ses ordonnances que, si ceux de la garnison de Chierbourch, qui étoient venus en ce voyage servir le comte de Bouquinghen, s’en vouloient r’aller par terre en leur garnison, ils auroient bon sauf-conduit du roi et aussi du connétable de France pour faire leur voyage parmi le royaume de France, voir à chevaucher sans armures ; et aucuns chevaliers et écuyers d’Angleterre, si ils se vouloient mettre en leur compagnie. Et les Anglois partis de Bretagne, le duc de Bretagne devoit venir en France devers le roi et ses oncles, et reconnoître foi et hommage du roi, ainsi que un duc de Bretagne doit faire à son naturel seigneur le roi de France. Toutes ces choses furent escriptes et scellées bien et suffisamment, et apportées devers le duc de Bretagne, qui pour le temps se tenoit à Suseniot en la marche de Vennes. Si s’accorda, mais ce fut à dur, à ce que ses gens en avoient fait ; car bien savoit que il ne pouvoit ce faire sans avoir grand maltalent au comte de Bouquinghen et aux Anglois.


CHAPITRE LXXXIII.


Comment après le traité fait du roi de France et du duc de Bretagne, les Anglois partirent de Bretagne pour retourner en Angleterre.


Quand la connaissance vint au comte de Bouquinghen et aux Anglois que le duc de Bretagne s’étoit accordé au roi de France, si en furent moult courroucés ; et se contentèrent moult mal de lui, et dirent que il les avoit mandés et fait venir en Bretagne, ni oncques ainsi que il dût il ne s’étoit acquitté envers eux ; pourquoi ils en tenoient moins de bien et de loyauté. Assez tôt après le duc de Bretagne vint à Vennes devers le comte de Bouquinghen et les barons, et leur remontra couvertement comment ses gens avoient pourchassé à Paris devers le roi de France et ses oncles aucun traité, lequel il convenoit que il fît et tînt, si il ne vouloit perdre son pays. Adoncques eut grandes paroles entre le comte de Bouquinghen et les barons d’Angleterre d’une part, et le duc de Bretagne d’autre ; mais le duc se humilioit et excusoit ce qu’il pouvoit : car bien sentoit et véoit que il avoit en aucune manière tort : toutefois faire le convenoit, afin que les Anglois partissent de Bretagne. Adonc fit le comte de Bouquinghen à savoir parmi la cité de Vennes que, si ses gens avoient rien acru[2], on se traist avant et on seroit payé ; et rendit aux bourgeois de Vennes les clefs de la ville, et les remercia de ce qu’ils lui avoient fait. On délivra au comte et à ses gens, pour leurs deniers, navire à Vennes, à Hainbont et à Camperlé là où ils étoient logés. Et se partit de Vennes le comte de Bouquinghen le onzième jour du mois

  1. Ce traité, conclu à Paris le 15 janvier 1380 ou 1381, nouveau style, Pâques tombant cette année le 14 avril, fut ratifié par le duc de Bretagne à Guerrande, le 10 avril 1380 ou 1381, nouveau style. Il est rapporté en entier par d’Acynte, livre de Bretagne. Lobineau le rapporte également avec les ratifications successives des divers seigneurs de Bretagne.
  2. Obtenu à crédit.