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LIVRE II.

autre, fûmes-nous menés au chemin dont nous entrâmes en l’embûche. Si nous eussions cru Arnoux Clerc, nous n’eussions eu garde ; car il nous vouloit mener droit sur nos gens ; et Jean Boulle, qui nous avoit vendus et trahis, nous a menés là où nous avons été déconfits. » Or regardez comment ils l’accusèrent de trahison : je ne cuide mie que il y eût cause ; car si il fût ainsi comme ils disoient, et que il les eût vendus et trahis au comte, il ne fût jamais retourné devers eux, et fût demeuré avec le comte et ses gens. Toutefois ne se put oncques excuser Jean Boulle, puisque il étoit accueilli, que il ne fût mort : je vous dirai comment. Les Gantois l’allérent prendre et querre en son hôtel et l’emmenèrent en-my la rue ; et là fut despiécé pièce à pièce : chacun en emportoit une pièce. Ainsi fina Jean Boulle. À lendemain les Gantois se départirent de Courtray et s’en retournèrent en Gand, et envoyèrent Jean de Lannoy au châtel de Gavres, qui est châtel du comte séant sur la rivière de l’Escaut. Et le prit Jean en garde et en garnison. Or parlerons-nous du comte de Flandre et de ses gens.


CHAPITRE LXXXIX.


Comment ceux de la ville d’Yppre se rendirent au comte Louis leur seigneur, et comment plenté de peuple fut désolé à Yppre.


Quand ils eurent ainsi par leur embûche rués jus les Gantois et bien morts trois mille ou environ, que de ceux de Gand que de ceux de Yppre, le comte eut conseil que il se trairoit devant la ville de Yppre, et y mettroit le siége. Si comme il fut conseillé il fut fait ; et se trait le comte celle part à tous ses gens et belle compagnie de chevaliers et écuyers de Flandre, de Hainaut et d’Artois, qui l’étoient venu servir. Quand ceux de Yppre entendirent que le comte leur sire venoit là si efforcément, si furent tous effrayés ; et orent conseil, les riches hommes et les notables de la ville, que ils ouvriroient leurs portes et s’en iroient devers le comte, et se mettroient du tout en son ordonnance, et lui crieroient merci ; car bien savoit que de ce que ils étoient et avoient été Gantois, ce avoit été par force et par le commun, si comme foulons et tisserands et tels méchans gens de la ville : si sentoient bien le comte si noble et si pitable que il les prendroit à merci. Si comme ils ordonnèrent ils firent ; et s’en vinrent plus de trois cents d’une compagnie au dehors de la ville d’Yppre, et avoient les clefs des portes avec eux ; et quand le comte de Flandre fut venu, ils se jetèrent tous à genoux devant lui, et lui crièrent merci, et se mirent du tout, eux personnellement et toute la ville, en sa volonté. Le comte en eut pitié et les fit lever et les prit à merci. Si entra, et toute sa puissance, en la ville de Yppre et y séjourna environ trois semaines, et renvoya ceux du Franc et ceux de Bruges. En ce séjour que le comte fit à Yppre, il en fit décoler plus de sept cents, foulons et tisserands et telles manières de gens, qui avoient mis premièrement Jean Lyon et les Gantois en la ville, et occis les vaillans hommes que il avoit établis là et envoyés, pour laquelle chose il étoit moult iré pour ses chevaliers. Et afin que ils ne fussent plus rebelles envers lui, il envoya trois cents des plus notables de la ville tenir prison à Bruges ; et quand il ot tout ce fait, il s’en retourna à Bruges, à belle compagnie de gens d’armes ; mais il prit le chemin de Courtray, et dit que il vouloit ceux de Courtray mettre en son obéissance.


CHAPITRE XC.


Comment ceux de Courtray furent reçus à merci du comte leur seigneur, et comment le comte alla mettre le siége à grand effort devant Gand ; et du confort que les Gantois avoient des Brabançons et Liégeois.


Quand ceux de Courtray entendirent que le comte, leur seigneur, venoit si efforcément sur eux, et que ceux de Yppre s’étoient mis en son obéissance, ils se doutèrent grandement, car ils ne véoient point de confort apparent en ceux de Gand. Si se devisèrent que ils se rendroient légèrement à leur seigneur ; et trop mieux leur valoit à être de-lez le comte, quand ils lui devoient foi et loyauté, que de-lez les Gantois. Adonc s’ordonnèrent trois cents de la ville, tous des plus notables, et se mirent tous à pied sur les champs, contre la venue du comte, les clefs de la ville avec eux. Quand le comte dut passer, ils se jetèrent tous à genoux, et lui crièrent merci. Le comte en eut pitié ; si les reçut à merci et entra en la ville moult joyeusement ; et tous et toutes lui firent honneur et révérence. Si prit des bourgeois de Courtray environ trois cents des plus notables, et les envoya à Lille et à Douay en hostagerie, afin que ceux de Courtray ne se