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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

fia à Gand à Rasse de Harselles, et lui manda que il fût conforté, et que les gens du comte étoient sur le pays. Rasse de Harselles assembla bien six mille hommes de ceux de Gand, et se mit aux champs vers Gavres, et ne trouva là point Jean de Lannoy ; mais le trouva à Douze, où il pilloit le pays d’autre part la rivière. Adonc se remirent-ils ensemble et cheminèrent ce jour ; et trouvèrent ceux d’Audenarde et de Douze qui s’en alloient devers le comte : si les assaillirent et en occirent bien six cents ; et ne étoit point le sire d’Enghien en cette compagnie, mais étoit allé devers le comte, qui étoit logé sur les champs entre Douze et Bruges. Quand les nouvelles vinrent au comte et au seigneur d’Enghien que ceux de Audenarde avoient reçu tel dommage, si en furent moult courroucés ; et fut adonc ordonné que le sire d’Enghien se partiroit atout quatre mille hommes, et s’en viendroit à Gavres, là où on espéroit que Jean de Lannoy étoit ; mais il n’y étoit point, ainçois il s’étoit retrait à Gand atout son pillage et son butin, et ses prisonniers : mais n’avoit-il mie grand’foison. À lendemain se départirent, il et Rasse de Harselles, atout dix mille hommes, et eurent en propos de aller à Douze ; mais quand ils furent sur les champs, ils tournèrent vers Nieule, car on leur dit que le sire d’Enghien et bien quatre mille hommes y étoient, et que le comte n’y étoit point encore venu ; si les vouloient combattre. Ce propre jour que Rasse de Harselles issit de Gand, en issit aussi Piètre du Bois atout six mille hommes, et Arnoux Clerc en sa compagnie, et vinrent ardoir les faubourgs de Courtray et abattre les moulins qui étoient au dehors de Courtray. Et puis s’en retournèrent vers Douze pour revenir à leurs gens ; mais ce fût trop tard, car quand Jean de Lannoy et Rasse de Harselles furent venus à Nieule, ils trouvèrent le comte et toute sa puissance logés sur les champs, qui n’attendoit autre chose fors que ils fussent venus. Ainsi se trouvèrent ces deux osts du comte et des Gantois, sans ce que au matin ils sçussent rien de l’un et de l’autre. Quand Rasse de Harselles et Jean de Lannoy virent que combattre les convenoit, si ne s’effrayèrent point, mais se mirent en bon convenant, et rangèrent sur les champs, et se mirent en trois batailles ; et en chacune bataille avoit deux mille hommes, tous hardis et aventureux compagnons, des plus habiles et courageux de Gand. Et autant en avoient Piètre du Bois et Arnoux Clerc qui étoient sur le pays, et rien ne savoient encore de cette aventure que leurs gens se dussent combattre. Et au départir de Gand ils avoient pris ordonnance et convenant ensemble que, si ils trouvoient le comte et sa puissance, ils ne se combattroient point l’un sans l’autre ; car chaque bataille à part lui ils n’étoient pas forts assez, et tous ensemble ils étoient forts assez pour combattre autant de gens trois fois que ils étoient, et tout ce avoient juré et fiancé ensemble Piètre du Bois et Rasse de Harselles. Et au voir dire, Rasse eût bien arrêté à ne point combattre si très tôt, si il voulsist ; car s’il se fût voulu tenir en la ville, en attendant Piètre du Bois, le comte ni ses gens ne l’eussent jamais requis là dedans ; mais si très tôt que Rasse sçut la venue du comte, par orgueil et par grandeur, il se mit sur les champs ; et dit en soi-même que il combattroit ses ennemis et auroit l’honneur, sans attendre Piètre du Bois ni les autres ; car il avoit si grand’fiance en ses gens, et si bonne espérance en la fortune de ceux de Gand, que avis lui étoit que il ne pouvoit mie perdre. Et bien montra ce jour la grand’volonté que il avoit de combattre, ainsi comme je vous recorderai présentement.


CHAPITRE XCIV.


Comment le comte de Flandre assembla en bataille contre les Gantois, dont étoient capitaines Rasse de Harselles et Jean de Lannoy, et comment les Gantois furent reculés.


Moult fut le comte de Flandre réjoui quand il vit que Rasse de Harselles étoit issu de Nieule et trait sur les champs pour combattre : si fit ordonner ses gens et mettre en bonne ordonnance, et étoient environ vingt mille hommes, tous gens de fait ; et avoit environ quinze cents lances, chevaliers et écuyers de Flandre, de Hainaut, de Brabant et d’Artois. Là étoient de Hainaut le sire d’Enghien, maréchal de l’ost ; de sa route le sire de Montigny, messire Michel de la Hamède, le bâtard d’Enghien, Gilles du Risoy, Hustin du Lay et moult d’autres ; et de Hainaut encore, le sire de Lens et messire Jean de Berlaimont ; et de Flandre le sire de Ghistelles, messire Guy de Ghistelles, le sire d’Escornay, le sire de Hulut, le sire de Hallevin, messire Thierry de Diskemmes, le sire d’Estannebourg, le sire de la Grutuse, messire Jean Vilain, messire Gé-