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LIVRE II.

rard de Marqueilles et plusieurs autres. Et là y eut fait plusieurs chevaliers nouveaux ; et étoit en devant le jeune sénéchal de Hainaut, mort sur son lit, de la bosse[1], à Aubies de-lez Mortadgne, car il y eût été. Si fit le comte de Flandre cinq batailles, et en chacune mit quatre mille hommes. Là étoient-ils en grand’volonté de courir sur leurs ennemis ; et porta ce jour le sire de Lieureghen la bannière du comte de Flandre. Toutes ces batailles et ces ordonnances faites, ils approchèrent les cinq batailles contre les trois ; et de commencement il n’y eut que trois de la partie du comte qui approchassent ni assemblassent ; car les deux étoient sur ailes pour reconforter les batailles branlans. Là étoit le comte présent, qui les prioit et admonestoit de bien faire et de prendre la vengeance de ces enragés de Gand, qui leur avoient fait tant de peine. Et disoit bien à ceux des bonnes villes : « Soyez tous sûrs, si vous fuyez, vous serez morts mieux que devant ; car sans merci je vous ferai à tous trancher les têtes. » Et mit le comte ceux de Bruges en la première bataille, et ceux du Franc en la seconde, et ceux de Yppre et de Courtray en la tierce et ceux de Popringhe et de Berghes, et de Cassel et de Bourbourg en la quarte ; et il avoît retenu de-lez lui ceux de Lille, de Douay et de Audenarde.

Or se assemblèrent ces batailles et vinrent l’un contre l’autre. Rasse de Harselles avoit la première bataille, car c’étoit le plus outrageux, hardi et entreprenant des autres, et pour ce vouloit-il être des premiers assaillans et en avoir l’honneur, si point en y avoit ; et s’en vint assembler à ceux de Bruges que le sire de Ghistelles et ses frères menoient. Là ot, je vous dis, grand boutis et grand poussis de première venue. Aussi d’autre part, les autres batailles s’assemblèrent : là en y ot plusieurs renversés par terre à ce commencement d’une part et d’autre ; et y faisoient les Gantois de grands appertises d’armes : mais les gens du comte étoient trop plus grand’foison, quatre contre un. Là eut bon boutis, et qui longuement dura, ainçois que on pût voir ni savoir qui en auroit le meilleur ; et se mirent toutes ces batailles ensemble. Là crioit-on : « Flandre ! au Lion ! » en réconfortant les gens du comte ; et les autres crioient à haute voix : « Gand ! Gand ! » Et fut tel fois que les gens du comte furent en aventure de tout perdre. Et si ils eussent perdu terre, ils eussent été déconfits et morts sans recouvrer ; car Piètre du Bois et bien six mille hommes étoient sur les champs, qui bien véoient leurs gens combattre ; mais ils ne les pouvoient conforter, pour un grand palut d’eau et de marais qui étoient entr’eux et les combattans. Mais si le comte eût perdu ce jour, et que ses gens eussent fui par déconfiture, Piètre du Bois leur fût sailli au devant et les eût eu à volonté : ni jà pied n’en fût échappé, ni comte ni autre, que tous n’eussent été morts sur la place ou en chasse ; dont ce eût été grand dommage, car en Flandre n’eût point eu de recouvrer, que tout le pays, fors cil qui tenoit le parti des Gantois, ne fût allé en exil, et à perdition par feu et par glaive entièrement.


CHAPITRE XCV.


Comment Rasse de Harselles et Jean de Lannoy furent occis, et bien six mille Gantois, à un village en Flandre, appellé Nieule.


Rasse de Harselles et Jean de Lannoy ne l’eurent mie d’avantage à assaillir les gens du comte ; car le comte avoit là grand’foison de bonne chevalerie, et les compagnons de Bruges, de Yppre, de Courtray, d’Audenarde, du Dan, de l’Écluse et du Franc de Bruges ; et étoient les gens du comte quatre contre un des Gantois. Donc il avint que, quand les batailles du comte furent toutes remises ensemble, il y ot grand’gens, et ne les porent souffrir les Gantois ; mais se ouvrirent et recueillirent vers la ville ; et les chevaliers et les gens du comte les commencèrent fort à approcher et à dérompre. Sitôt que ils les eurent ouverts ils entrèrent dedans ; si les abattoient et tuoient à monceaux. Adonc se retrairent les Gantois vers le moûtier de Nieule, qui étoit fort, et là se rassemblèrent ; et y eut grand’bataille et grand’occision de Gantois à l’entrer au moûtier. Jean de Lannoy, comme tout ébahi et déconfit, entra au moûtier, et pour lui sauver entra en une grosse tour du clocher, et ceux qui y purent de ses gens avec lui ; et Rasse de Harselles demeura derrière qui gardoit l’huis et recueilloit ses gens, et fit à l’huis grand’foison d’appertises d’armes. Mais finablement il fut efforcé et féru de une longue pique tout outre le

  1. De la peste.