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LIVRE II.

Flandre ; ni encore n’étoit point la chose à ce jour où elle devoit être, ni les grands maux de Flandre, ce sachiez, ainsi que ils furent depuis, et si comme je vous recorderai avant en l’histoire.


CHAPITRE XCVII.


Comment Piètre du Bois fut par le seigneur d’Enghien et autres chevauché et poursuivi jusques auprès de Gand.


Après la déconfiture où furent pour ce temps morts et déconfits à Nieule Rasse de Harselles et Jean de Lannoy, le comte de Flandre entendit que Piètre du Bois et une bataille de Gantois étoient sur les champs et s’en r’alloient à Gand. Adonc s’arrêta le comte, et demanda conseil à ses chevaliers, si on les iroit combattre. On lui répondit en conseil que pour ce jour on avoit assez fait, et que ses gens étoient tous lassés, et que il les convenoit reposer. « Mais, sire, ce seroit bon que de six ou sept cents hommes d’armes, tous bien montés, vous les fissiez poursuir pour savoir leur convenant ; ils pourroient bien ce soir gésir en tel lieu que avant le matin nous serions à leur délogement. » Le comte s’inclina à ce conseil et fit ainsi. Tantôt furent ordonnés ceux qui seroient en cette chevauchée, et en fut le sire d’Enghien meneur et souverain. Si montèrent à cheval environ cinq cents lances ; et se départirent de Nieule et du comte, et prirent les champs, et chevauchèrent à la couverte pour voir les Gantois ; et tant allèrent que ils les virent avaler un tertre, et étoient tout serrés en bon convenant, et cheminoient le bon pas sans eux dérouter. Le sire d’Enghien et sa route les poursuivoient de loin et sur côté. Piètre du Bois et les Gantois les véoient bien ; mais nul semblant ne faisoient de eux desrouter ; et disoit Piètre du Bois : « Allons notre chemin et le bon pas, et point ne nous desroutons : si ils se boutent en nous, nous les recueillerons ; mais je crois bien que ils n’en ont nulle volonté. » Ainsi cheminèrent-ils les uns et les autres sans rien faire jusques à Gand, que le sire d’Enghien retourna vers le comte, et Piètre du Bois et ses gens rentrèrent en Gand. Adonc fut Piètre du Bois accueilli de plait et sur le point d’être occis, pour la cause de ce que il n’avoit autrement réconforté Rasse et ses gens. Piètre s’excusa, et de vérité ; et dit que il avoit mandé à Rasse que nullement il ne se combattit sans lui, car le comte étoit trop puissamment sur les champs, et il fit tout le contraire, et si il lui en étoit mésavenu, il ne le pouvoit amender. « Et sachez que je suis aussi courroucé de la mort de Rasse et aussi dolent que nul peut être ; car la ville de Gand y a perdu un très vaillant et sage capitaine : si nous en faut requerre un autre, ou mettre du tout en la volonté du comte et en son obéissance, qui nous fera tous mourir de male mort. Regardez lequel vous voulez faire, ou persévérer en ce que vous ayez commencé ou mettre en la volonté et merci de monseigneur. » Piètre ne fut adonc point répondu, mais tant que de la bataille et avenue de Nieule et de la mort de Rasse il fut excusé et descoulpé. Mais de ce que on ne lui répondit point, il se contenta mal, et sus aucuns bourgeois qui là étoient par sens les plus riches et les plus notables de la ville, tels que le sire Gisebrest Grutte et sire Simon Bette : il n’en fit adonc nul semblant ; mais il leur remontra durement en l’année, ainsi comme vous l’orrez avant recorder en l’histoire.


CHAPITRE XCVIII.


Comment les Gantois mirent le siége devant Courtray, comment ils s’en partirent, et comment ils endommagèrent les gens du comte par deux fois.


Quand le sire d’Enghien et le sire de Montigny, le Hazle de Flandre et leurs routes furent retournés à Nieule devers le comte, et ils eurent recordé ce que ils avoient vu, le comte se partit de Nieule et s’en retourna à Bruges, et renvoya ses bonnes villes et ceux du Franc et le seigneur d’Enghien et les Hainuiers en garnison en Audenarde. Quand ceux de Gand entendirent que le comte étoit retrait à Bruges, et que il avoit donné congé à tous ses gens, si se r’émurent, par l’émouvement de Piètre du Bois qui leur dit : « Allons devant Courtray, et ne nous refroidons pas de faire guerre ; montrons que nous sommes gens de fait et d’emprise. » Adonc se départirent-ils de Gand plus de quinze mille, et s’en vinrent moult efforcément devant Courtray et y mirent le siége, la fête et la procession de Bruges séant, l’an mil trois cent quatre vingt et un ; et furent là dix jours, et ardirent tous les faubourgs de Courtray et le pays d’environ Quand le comte en sçut les nouvelles, il remanda tous ses gentils hommes et ceux des garnisons et les communes de Yppre et du Franc, et se