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LIVRE II.

thombrelande et de Herfort. Mais la voix étoit toute commune aval Londres que il étoit avec ce peuple ; et disoient les aucuns pour certain que ils l’y avoient vu, pour un appelé Thomas qui trop bien le ressembloit, de la comté de Kent, qui étoit entr’eux. Le comte de Cantebruge et les barons d’Angleterre, qui gissoient à Pleumoude et qui appareilloient leurs vaisseaux pour aller en Portingal, étoient tout informés de cette rébellion et du peuple qui se commençoit à élever : si se doutèrent que leur voyage n’en fût rompu, ou que le commun d’Angleterre, de Hantonne, de Wincestre et de la comté d’Arundel ne leur vînt courir sus. Si se désancrèrent leurs nefs et issirent hors du hâvre, à grand’peine et à vent contraire, et se boutèrent en la mer, et là ancrèrent attendant vent. Le duc de Lancastre, qui étoit sur la marche entre Mourlane[1], Rosebourch et Mauros, et qui là parlementoit aux Escots, étoit aussi tout informé de cette rébellion et en grand doute de sa personne ; car bien savoit que il étoit petitement en la grâce du commun d’Angleterre[2] : mais nonobstant toutes ces choses, si demenoit-il moult sagement ses traités envers les Escots. Le comte de Douglas, le comte de Mouret, le comte de Surlant, le comte Thomas de Vercy et ces Escots, qui pour le roi et le pays faisoient et menoient ces traités, savoient bien toute la rébellion d’Angleterre, et comment le peuple de toutes parts se commençoit à rebeller contre les nobles. Si disoient : « Angleterre gît en grandbranle et péril de être toute détruite. » Et vous dis qu’en leurs traités ils s’en tenoient plus forts envers le duc de Lancastre et son conseil.

Or parlerons-nous du commun d’Angleterre comment ils persévérèrent.


CHAPITRE CX.


Comment le roi et son conseil vinrent sur la Tamise, puis retourna ; et comment le peuple paysan vint devant Londres et entrèrent dedans, et des outrages qu’ils y firent.


Quand ce vint le jour du Saint Sacrement, au matin, le roi Richard ouït messe en la tour de Londres, et tous les seigneurs. Après messe il entra en sa barge, le comte de Sallebery, le comte de Warvich, le comte d’Acquesuffort, le comte de Suffort et aucuns chevaliers en sa compagnie ; et navièrent à rive pour venir outre la Tamise sur le rivage, en allant vers le Rideride[3], un manoir du roi, où plus avoit de dix mille bons hommes qui là étoient descendus de la montagne, pour voir le roi et pour parler à lui. Quand ils virent la barge du roi venir, ils commencèrent tous à huer et à donner un si grand cri que il sembloit proprement que tous les diables d’enfer fussent là descendus en leur compagnie. Et vous dis que ils avoient amené messire Jean Mouton, leur chevalier, avecques eux, afin que si le roi ne fût venu et qu’ils l’ussent trouvé en bourde[4], ils l’eussent dévoré et détranché pièce à pièce : tout ce lui avoient-ils promis. Quand le roi et les seigneurs virent ce peuple qui ainsi se démenoit, il n’y eut si hardi que tous ne fussent effrayés ; et n’eut mie le roi en conseil des barons qui là étoient qu’il prit terre ; mais commencèrent à waucrer la barge amont et aval sur la rivière. Adonc dit le roi : « Seigneurs, que voulez-vous dire ? Dites-le-moi ; je suis ci venu pour parler à vous. » Ils lui dirent de une voix, ceux qui l’entendirent : « Nous voulons que tu viennes sur terre, et nous te montrerons et dirons plus aisément ce qu’il nous faut. » Adonc répondit le comte de Sallebery, pour le roi, et dit : « Seigneurs, vous n’ètes mie en arroy ni en ordonnance que le roi doye maintenant parler à vous. » À ces mots il n’y eut plus rien dit ; et fut le roi conseillé du retourner, et retourna au chastel de Londres dont il étoit parti.

Quand ces gens virent qu’ils n’en auroient autre chose, si furent tous enflambés de ire ; et retournèrent en la montagne où le grand peuple étoit ; et recordèrent comment on leur avoit répondu, et que le roi étoit r’allé en la tour de Londres. Adonc crièrent-ils tous d’une voix : « Allons, allons tôt à Londres ! » Lors se mirent-ils tous à chemin et s’avallèrent sur Londres en foudroyant et abattant manoirs d’abbés, de avocats et de gens de cour, et vinrent ès faubourgs de Londres qui sont grands et beaux. Si y abattirent plusieurs beaux hôtels ; et par espécial, ils abattirent les prisons du roi, que on appelle mareschaussiées ; et furent délivrés tous les prisonniers qui étoient dedans. Et firent en ces faubourgs moult de desrois ; et menaçoient, à l’entrée

  1. Johnes prétend qu’il faut lire Lambirlaw.
  2. Le peuple lui en voulait surtout parce qu’il pensait que c’était pour soutenir ses prétentions au trône de Castille qu’on avait levé des impôts onéreux.
  3. Rotherheath.
  4. S’ils eussent vu que J. Newton s’était moqué d’eux.