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LIVRE II.

en approchant les Anglois que nous avons avisé leur convenant ; et vous disons que ils vous attendent en deux belles batailles ordonnées sur uns plains ; et peuvent bien être en chacune bataille cinq mille hommes : si ayez sur ce avis. Nous les approchâmes de si près que bien connurent que nous étions coureurs escots ; mais ils n’en firent semblant nul, ni oncques nul ne se défronta pour chevaucher sur nous. » Quand messire Arcebault Douglas et les chevaliers d’Escosse qui là étoient ouïrent ces nouvelles et ces paroles, si furent tous pensifs et dirent : « Nous ne pouvons voir que notre profit soit de chevaucher maintenant plus avant sur les Anglois ; car ils sont deux contre un de nous, et tous gens de fait ; si y pourrions plus perdre que gagner, et folle emprise ne fut oncques bonne faite. » Là avoit Alexandre de Ramesay un vaillant chevalier à oncle, qui s’appeloit Guillaume de Lindesée, qui mettoit grand’peine que son neveu fût conforté, et disoit : « Seigneurs, mon neveu, sur la fiance de vous et de votre confort, a fait sa chevauchée et pris le châtel de Bervich ; si vous tournera à grand blâme si il est perdu ; et autre fois ceux de notre côté ne s’aventureront pas si volontiers. » Là répondoient les autres, et disoient que on ne le pouvoit amender, et que tant de bonnes gens qui là étoient ne se pouvoient pas mettre en l’aventure d’être perdus pour l’emprise d’un écuyer ; et fut accordé entre eux de retraire plus avant en leur pays et loger sur les montagnes près de la rivière de Tuide ; et là se retrairent tout bellement et par loisir.

Quand le comte de Northombrelande et le comte de Nothingen et les barons d’Angleterre perçurent que les Escots ne trairoient point avant, si envoyèrent leurs coureurs à sçavoir que ils étoient devenus. Ils rapportèrent que ils étoient retraits vers la Morlane outre le châtel de Rosebourch. À ces nouvelles sur le soir se retrairent tout bellement les Anglois en leurs logis, et firent bon gait jusques à lendemain. Environ heure de prime, furent toutes manières de gens d’armes et d’archers appareillés pour aller assaillir le châtel de Bervich ; et lors commença l’assaut qui fut grand et fort et dura tout le jour jusques à remontée : on ne vit oncques de si peu de gens si bien tenir ni défendre que les Escots faisoient, ni aussi châtel assaillir si âprement ; car on avoit échelles en plusieurs lieux dressées contre les murs ; et là montoient gens d’armes, les targes sur leurs tâtes, et venoient combattre main à main aux Escots : si étoient à la fois rués jus et renversés au fossé. Et ce qui plus ensonnioit et travailloit les Escots, c’étoient les archers d’Angleterre qui traioient si omniement que à peine osoit nul apparoir aux défenses. Tant fut cil assaut continué et pourmené que les Anglois entrèrent de force et de fait dedans le châtel. Si commencèrent à prendre et occire tous ceux que ils trouvèrent ; ni de tous ceux qui dedans étoient oncques nul n’échappa qu’il ne fût mort, excepté Alexandre qui fut prisonnier au seigneur de Percy. Ainsi fut délivré des Escots le châtel de Bervich. Si en fut capitaine, de par le comte de Northombrelande, Jean Bisset, un moult vaillant écuyer qui avoit aidé à le reconquerre, ainsi que vous avez ouï, lequel le fit remparer de tous points, et refaire le pont que ils avoient rompu.

Or parlerons-nous de l’ordonnance des Anglois comment ils persévérèrent.


CHAPITRE XVI.


Comment les Anglois poursuivoient les Escots pour les combattre ; et comment deux écuyers anglois furent pris par une embuche d’Escots.


Après le reconquêt du châtel de Bervich, le comte de Northombrelande et le comte de Nothingen, qui étoient les deux plus grands de l’ost, avisèrent, au cas que ils avoient toutes leurs gens mis ensemble, que ils chevaucheroient vers leurs ennemis, et si ils les trouvoient ils les combattroient : ainsi fut-il dit et devisé et ordonné en leur ost ; et se départirent tous à un matin et chevauchèrent le chemin de Rosebourch, tout contremont la rivière de Tuide. Quand ils eurent chevauché ensemble environ trois lieues, ils eurent nouvel conseil ; et avisèrent les deux comtes qui là étoient que ils enverroient une partie de leurs gens devers Mauros, une grosse abbaye de noirs moines qui siéd sur la rivière de Tuide et le département des deux royaumes, pour savoir s’il y avoit là nuls Escots embuchés ; et eux et leur plus grosse route chevaucheroient vers la Morlane ; et à faire ce chemin il ne pouvoit être que ils n’ouïssent nouvelles des Escots. Si fut ordonné capitaine de ces gens d’armes, qui devoient être trois