Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
[1382]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

faire alliance au roi d’Angleterre et aux Anglois, laquelle chose est contre raison et au préjudice du royaume de France et de la couronne ; et ne le pourroit le roi souffrir aucunement : pour quoi nous vous requérons, de par le roi, que vous nous veuilliez sauf conduit bailler et envoyer, allant et venant, pour celle paix faire et mener à conclusion bonne, si que le roi vous en sache gré. Et nous en rescripsiez réponse de votre intention. Notre sire vous veuille garder. Escript à Tournay le seizième jour du mois d’octobre. »

Quand ces trois lettres contenant toutes une même chose furent écrites et scellées, on les bailla à trois hommes ; et leur fut dit : « Vous irez à Gand, et vous à Bruges, et vous à Yppre, et nous rapporterez réponse. » Ils répondirent : « Volontiers réponse vous rapporterons-nous, si nous la pouvons avoir. » À ces mots se partirent, et alla chacun son chemin. Quand cil de Gand vint à Gand, pour ce jour Philippe d’Artevelle y étoit ; autrement ceux de Gand n’eussent point ouvert la lettre sans lui. Il l’ouvrit et la lut, et quand il l’ot lue, il n’en fit que rire, et se départit assez tôt de Gand et s’en retourna devant Audenarde, et emporta la lettre avecques lui : mais le messager demeura en prison à Gand. Et quand il fut venu devant Audenarde, il appela le seigneur de Harselles et aucuns de ses compagnons, et leur lut la lettre des commissaires, et dit : « Il semble que ces gens de France se truffent de moi et du pays de Flandre. Je avois jà dit aux bourgeois de Tournay, quand ils furent avant hier ci, que je ne voulois mais ouïr nulles nouvelles de France ni entendre à nul traité que on me pût faire, si Audenarde et Tenremonde ne nous étoient rendues. »

À ces mots vinrent nouvelles de Bruges, de Yppre et des capitaines qui là étoient, comment aussi on leur avoit escript, et que briévement les messagers qui les lettres avoient apportées étoient retenus ès villes et mis en prison. « C’est bien fait, » dit Philippe. Adonc musa-t-il sur ces besognes un petit, et quand il eut merencolié une espace, il s’avisa qu’il rescriproit aux commissaires du roi de France. Si escripvit une lettre ; et avoit en la superscription : « À très nobles et discrets seigneurs, les seigneurs commissaires du roi de France. »

« Très chers et puissans seigneurs, à vos très nobles discrétions plaise vous savoir, que nous avons reçues[1] très amiables lettres à nous envoyées de très excellent seigneur Charles, roi de France, faisant mention comme vous, très nobles seigneurs, êtes envoyés de par lui par deçà pour traiter de paix et d’accord entre nous et haut prince monseigneur de Flandre et son pays devant dit, et par le roi devant dit et son conseil ayans plaisance de ce conclure et accomplir ; si que ceux de Tournay, nos chers et bons amis, nous témoignent par leurs lettres patentes par nous vues. Et pour ce que le roi escript que à lui moult déplaît que les discords ont si longuement été et encore sont ; dont nous avons grand’merveille comment ce peut être. Au temps passé, quand la ville de Gand fut assise et le pays d’Audenarde n’étoit de nulle valeur, et aussi quand nous du commun conseil des trois bonnes villes de Flandre, à lui escripvîmes comme à notre souverain seigneur, que il voulsist faire la paix et accord, adonc il ne lui en plut autant à faire, ainsi qu’il nous semble que volontiers il feroit maintenant. Et aussi en telle manière avons reçu unes lettres patentes contenans que deux fois nous avez écrit que vous êtes venus chargés du roi devant dit, si comme ci-dessus est déclaré : mais il vous semble que, selon notre réponse à vous sur ce envoyée, que nous n’avons volonté d’entendre au traité fermement ; sur quoi sachez que nul traité n’est à querre entre vous et le pays de Flandre, si ce n’est que les villes et les forteresses, à la volonté de nous regard de Flandre et de la dite ville de Gand, fermées contre le pays de Flandre, et nommément et expressément contre la bonne ville de Gand dont nous sommes regard, seront décloses et ouvertes à la volonté de nous regard de la dite ville. Et ci ce n’est premier fait, nous ne pourrions traiter à la manière que vous requérez ; car il nous ne chaut que le roi au nom de lui a et peut assembler en aide de son cousin, notre seigneur, grand’puissance ; car nous véons et savons que fausseté y a, ainsi que autre fois y a eu ; dont notre intention est de être sur notre garde

  1. Je n’ai pu retrouver à Gand ni à Bruges, la lettre mentionnée ici. Le manuscrit 76 de la bibliothèque publique de Gand contient la même lettre de Philippe d’Artevelle, que fournit le texte de Froissart. L’écriture en est du xve siècle, et par conséquent plus récente que celle du manuscrit de Froissart que j’ai suivie. Le manuscrit de Gand donne à tort 1380, au lieu de 1382.