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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

durement au chef et au corps ; dont il fut puis plus de six semaines qu’il ne se pût armer.

À ce dur retour furent morts le chastelain de Bouillon, et Bouchard de Saint-Hilaire, et plusieurs autres ; et noyé messire Henry de Duffle ; et en y ot, que mort que noyés, plus de soixante ; et ceux tous heureux qui sauver se purent ; et grand’foison de blessés et de navrés. Ainsi alla de cette emprise.

Les nouvelles en vinrent aux seigneurs de France qui étoient à Arras, comment leurs gens avoient perdu, et comment le Hazle de Flandre avoit follement chevauché. Si furent des aucuns plaints, et des autres non. Et disoient ceux qui le plus étoient usés d’armes : « Ils ont fait une folle emprise de passer une rivière sans guet et aller courir une grosse ville, et entrer au pays, et retourner au pas par où ils avoient passé, et non garder le pas jusques à leur retour. Ce n’est pas emprise faite de sages gens d’armes qui veulent venir à bon chef de leur besogne, à faire ainsi ; et pour ce que oultrecuidés ils ont chevauché, leur en est-il mal pris. »


CHAPITRE CLXXVI.


Comment Philippe d’Artevelle vint à Yppre prêcher et remontrer au peuple, auquel il fit lever la main, d’être certain à lui et au pays de Flandre.


Celle chose se passa ; on la mit en oubliance ; et Philippe d’Artevelle se partit de Bruges et s’en vint à Yppre où il fut recueilli à grand’joie. Et Piètre du Bois s’en vint à Commines où tout le plat pays étoit assemblé : et là entendit aux besognes et fit tous les ais du pont décheviller, pour être tantôt défait si il besognoit : mais encore ne volt-il mie le pont condamner de tous points, pour l’avantage de ceux du plat pays recueillir, qui passoient tous jours leurs bêtes par dessus à grand’foison, et mettoient outre le Lys à sauveté, et chassoient en-my les bois et ès prairies environ Yppre. Si en étoit le pays si chargé que c’étoit grand’merveille.

Ce propre jour que Philippe d’Artevelle vint à Yppre, vinrent les nouvelles comment, au pont à Menin, les François avoient perdu, et le Hazle avoit été attrapé. De ces nouvelles fut Philippe tout réjoui, et dit en riant, pour encourager ceux qui de-lez lui étoient : « Par la grâce de Dieu et le bon droit que nous y avons, tous venront à celle fin ; ni jamais ce roi de France, jeunement conseillé, selon ce qu’il est d’âge, si il passe la rivière du Lys, ne retournera en France. »

Philippe d’Artevelle fut cinq jours à Yppre, et prêcha en plein marché pour encourager son peuple et tenir en leur foi ; et leur remontra comment le roi de France, sans nul titre de raison, venoit sur eux pour eux détruire : « Bonnes gens, ce dit Philippe, ne vous ébahissez point si ils viennent sur nous ; car jà n’auront puissance de passer la rivière du Lys : j’ai fait tous les pas bien garder ; et est ordonné à Commines Piètre du Bois atout grand gent, qui est loyal homme et qui aime l’honneur de Flandre ; et Piètre de Vintre est à Warneston ; car tous les autres passages dessus la rivière du Lys sont rompus ; ni il n’y a passage ni guet, fors à ces deux villes, là où ils puissent passer. Et si ai ouï nouvelles de nos gens que nous avons envoyés en Angleterre. Nous aurons temprement un très grand confort des Anglois ; car nous avons bonnes alliances à eux ; ils se sont alliés avecques nous pour aider à faire notre guerre contre le roi de France qui nous veut guerroyer. Si vivez en cel espoir loyaument ; car l’honneur nous en demeurera ; et tenez ce que vous avez promis et juré à moi et à la bonne ville de Gand qui tant a eu de peine et de frais pour soutenir les droitures et les franchises des bonnes villes de Flandre ; et tous ceux qui veulent demeurer de-lez moi, ainsi qu’ils ont juré, liement lèvent la main vers le ciel en signe de loyauté. » À ces mots ceux qui étoient au marché et qui ouï l’avoient levèrent la main amont, et le assurèrent que tous demeureroient de-lez lui. Adonc descendit Philippe de l’échafaud où il avoit prêché, et s’en vint fendant le marché jusques à son hôtel, et se tint là tout ce jour. À lendemain il monta à cheval et retourna à toute sa route vers Audenarde où le siége se tenoit qui point ne se défaisoit pour nouvelles qu’ils ouïssent : mais il passa parmi Courtray, et reposa là deux jours pour encourager la ville.