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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

sire Olivier du Glayquin, le Barrois des Barres, le sire de Colet, messire Regnault de Thouars, le sire de Pousances, messire Guillaume de Lignac, messire Gauchier de Passac, le sire de Tors, messire Louis de Goussant, messire Tristan de la Gaille, le vicomte de Meaux, le sire de Mailly, et tant que, Bretons, que Poitevins, Béruyers, François, Bourguignons, Flamands, Artésiens, Tyois et Hainuiers, ils se trouvèrent bien outre, ce lundi sur le tard, environ quatre cens hommes d’armes, toute fleur de gentillesse ; ni oncques varlet n’y passa.

Quand messire Louis de Sancerre vit ce, et que tant de bonnes gens étoient passés, comme seize bannières et trente pennons, si dit que il lui tourneroit à grand blâme, si il ne passoit aussi. Si se mit en un bacquet ses chevaliers et écuyers avecques lui ; et adonc aussi passèrent le sire de Hangest, messire Parcevaulx d’Aineval et plusieurs autres. Ouand ils se virent tous ensemble, si dirent : « Il est heure que nous allions vers Comines voir nos ennemis, et savoir si nous pourrions ennuit loger en la ville. Adonc restraignirent-ils leurs armures et mirent leurs bassinets sur leurs têtes, et les lacèrent et bouclèrent, ainsi comme il appartenoit ; et se mirent sur les marais joignant la rivière, en pas et ordonnance, bannières et pennons ventilans devant eux, ainsi que pour tantôt traire avant et combattre. Et étoit le sire de Saint-Py au premier chef, et l’un des principaux gouverneurs et conduiseurs, pourtant qu’il connoissoit mieux le pays que nuls des autres.

Ainsi comme ils venoient tous le pas, et aussi serrés que nuls gens d’armes peuvent, par bonne ordonnance, contre val ces prés, en approchant la ville, Piètre du Bois et ses Flamands qui étoient tous rangés amont, haut sur la chaussée, jetèrent leurs yeux aval ces prés, et virent ces gens d’armes approcher. Si furent moult émerveillés ; et demanda Piètre du Bois : « Par quel diable de lieu sont venus ces gens, et où ils ont passé la rivière du Lys ? » Si lui répondirent ceux qui de-lez lui étoient : « Il faut qu’ils soient passés par bacquets huy toute jour ; et si n’en avons rien sçu ; car il n’y a pont ni passage sur le Lys de ci à Courtray. » — « Que ferons-nous, disent aucuns à Piètre Dubois ? Les irons-nous combattre ? » — « Nennil, dit Piètre, laissons-les venir, et demeurons en notre force et en notre place ; ils sont bas et nous sommes haut sur la chaussée. Si ils nous viennent assaillir, nous avons grand avantage sur eux ; et si nous descendons ores sur eux pour combattre, nous nous forferons trop grandement. Attendons que la nuit soit venue toute noire et toute obscure, et puis aurons conseil comment nous chevirons. Ils ne sont pas tant de gens que ils nous doivent planté durer à la bataille ; et si savons tous les refuges, et ils n’en savent nuls. »


CHAPITRE CLXXXIII.


Comment le connétable de France regretta la noblesse qu’il véoit outre le Lys. Comment il abandonna le passage et comment il fut conforté.


Le conseil Piètre du Bois fut cru : oncques ces Flamands ne se bougèrent de leur pas et se tinrent tous cois au pied du pont et tout contreval la chaussée, rangés et ordonnés en bataille ; et ne sonnoient mot, et montroient par semblant que ils n’en faisoient compte. Et ceux qui étoient passés venoient tout le pas parmi ces marais, côtoyant la rivière et approchant Comines. Le connétable de France, qui étoit d’autre part l’eau, jeta ses yeux et vit ces gens d’armes, bannières et pennons ventilans, en une belle petite bataille et vit comment ils approchoient Comines. Adonc lui commença le sang tout à frémir, de grand hideur qu’il ot, car il sentoit grand’foison de Flamands par delà l’eau, tous enragés. Si dit par grand yreur : « Ha, Saint Yves ! ha, Saint George ! ha, Notre Dame ! que vois-je là ? Je vois en partie toute la fleur de notre armée qui se sont mis en dur parti. Certes je voudrois être mort, quand je vois que ils ont fait un si grand outrage. Ha, messire Louis de Sancerre ! je vous cuidoye plus attrempé et mieux amesuré que vous n’êtes : comment avez-vous osé mettre outre tant de nobles chevaliers et écuyers, et si vaillans hommes d’armes, comme ils sont là, en terre d’ennemis : et espoir entre dix ou douze mille hommes, qui sont tout orgueilleux et tout avisés de leur fait, et qui nullui ne prendroient à merci : ni nous ne les pouvons, si il leur besogne, conforter. Ha, Rohan ! ha, Mauny ! ha, Malestroit ! ha, Conversant ! ha, tels et tels ! Je vous plains, quand, sans mon conseil, vous vous êtes mis en tel parti : pourquoi, pourquoi suis-je connétable