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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

reus et sur les champs environ trois mille, sans ceux qui furent morts en chasse et dedans les moulins à vent, et dedans les moûtiers où ils se recueilloient. Car sitôt que ces Bretons furent outre, ils montèrent à cheval et se mirent en chasse pour trouver ces Flamands et pour courir le pays qui étoit lors gros et riche. Le sire de Rais, le sire de Laval, le sire de Malestroit, le vicomte de la Berlière et le sire de Combourt et leurs gens chevauchèrent tant devant qu’ils s’en vinrent à Werin qui est une grosse ville : si fut prise et arse, et ceux qui étoient dedans, morts. Là orent les Bretons grand pillage et grand profit : aussi orent les autres qui s’épandirent sur le pays ; car ils trouvoient les hôtels tout pleins de draps, de pennes d’or et d’argent : ni nuls, sur fiance des forts pas étant sur la rivière du Lys, n’avoient point vidé le leur ni mené ens ès bonnes villes. Les pillards bretons, normands et bourguignons, qui premièrement entrèrent en Flandre, le pas de Comines conquis, ne faisoient compte de draps entiers, de pennes ni de tels joyaux, fors de l’or et de l’argent que ils trouvoient ; mais ceux qui vinrent depuis rançonnèrent tout au net le pays, ni rien n’y laissèrent ; car tout leur venoit bien à point.

Vous savez que nouvelles sont tantôt moult loin sçues. Ce mardi au matin vinrent les nouvelles devant Audenarde, à Philippe d’Artevelle qui là étoit au siége, comment les François avoient passé à Comines, le lundi, la rivière du Lys par bacquets, et comment ils avoient conquis le pas ; et avoient les Flamands qui là étoient, tant à Comines que sur le pays, perdu six mille hommes ou environ ; et tenoit-on que Piètre du Bois étoit mort. De ces nouvelles fut Philippe d’Artevelle tout courroucé et ébahi, et se conseilla au seigneur de Harselles qui là étoit, quelle chose il feroit. Le sire de Harselles lui dit : « Philippe, vous vous en irez à Gand et assemblerez de gens ce que vous pourrez avoir, parmi la ville gardée, et les mettrez hors, et retournerez ici, et à toute votre puissance vous en irez vers Courtray. Quand le roi de France entendra que vous venrez efforcément contre lui, il s’avisera de venir trop avant sur le pays : avecques tout ce nous devrions temprement ouïr nouvelles de nos gens qui sont en Angleterre ; et pourroit être que le roi d’Angleterre ou ses oncles passeront atout grand’puissance, ou jà passent ; et ce nous venroit grandement à point. » — « Je m’émerveille, dit Philippe, comment ils séjournent tant, quand les Anglois savent bien qu’ils auront entrée par ce pays-ci, et ils ne viennent point, et à quoi ils pensent et nos gens aussi. Nonobstant tout ce ne demeurera-t-il mie que je ne voise à Gand querre l’arrière-ban ; et venrai combattre le roi de France et les François comment qu’il s’en prenne. Je suis informé de piéça que le roi de France a bien vingt mille hommes d’armes : ce sont soixante mille têtes armées ; je lui en mettrai autant ensemble devant lui en bataille. Si Dieu me donne par sa grâce que je le puisse déconfire, avec le bon droit que nous avons, je serai le plus honoré sire du monde ; et si je suis déconfit, aussi grand’fortune avient à plus grand seigneur que je ne suis. »

Ainsi que Philippe et le sire de Harselles devisoient, et véez-ci autres gens affuyant qui venoient et qui avoient été en la bataille de Comines, lesquels poursuivirent les paroles premières, Adonc demanda Philippe. « Et Piètre du Bois, qu’est-il devenu ? Est-il ni mort ni pris ? » Ceux répondirent que nennil, mais il avoit été moult fort navré à la bataille, et étoit retrait vers Bruges.

À ces paroles monta Philippe à cheval, et fit monter environ trente hommes des siens, et prit le chemin de Gand ; et encore issit-il hors du chemin pour voir aucuns hommes morts de la garnison d’Audenarde, qui étoient issus celle nuit pour escarmoucher l’ost. Si en y ot de ratteints jusques à douze que ceux de l’ost occirent. Ainsi qu’il arrêtoit là en eux regardant, il jeta les yeux et vit un héraut qui venoit le chemin de Gand, lequel étoit au roi d’Angleterre, et l’appeloit-on le roi d’Irlande, et Chandos en son nom.

De la venue du héraut fut Philippe tout réjoui, pour ce qu’il venoit d’Angleterre ; et lui demanda en disant : « De nos gens savez-vous nulles nouvelles ? » — « Sire, oil, dit le héraut, il retourne cinq de vos bourgeois de Gand, et un chevalier d’Angleterre qui s’appelle messire Guillaume de Firenton, lequel, par l’accord du roi et de ses oncles, et de tous leurs consaulx et généralement du pas d’Angleterre, apportent unes lettres, selon ce que je suis informé et que le chevalier et eux me dirent à Douvres ; et ces