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LIVRE II.

lettres viennent à vous qui êtes regard de Flandre et de tout le pays. Et quand vous aurez scellé ce que les lettres contiennent, grands alliances qui y sont, et les bonnes villes de Flandre aussi, et le chevalier et vos gens seront retournés en Angleterre, vous serez grandement confortés du roi et des Anglois. » — « Ha ! dit Philippe, vous me comptez trop de devises ; ce sera trop tard ; allez, allez à notre logis. » Adonc le fit-il mener au logis devers le seigneur de Harselles, pour lui recorder des nouvelles, et il prit le chemin de Gand, si fort pensif que on ne pouvoit de lui extraire rien ni nulle parole.


CHAPITRE CLXXXVI.


Comment le roi de France vint à Comines, et tout son arroy, et de là devant Yppre ; et comment la ville d’Yppre se rendit à lui par composition.


Nous parlerons du roi de France et recorderons comment il persévéra. Quand les nouvelles lui forent venues que le pas de Comines étoit délivré des Flamands et le pont refait, il se départit de l’abbaye de Marquette où il étoit logé, et chevaucha vers Comines à grand’route, et toutes gens en ordonnance, ainsi comme ils devoient aller. Si vint le roi ce mardi à Comines et se logea en la ville et ses oncles, dont la bataille et l’avant-garde s’étoient délogés et étoient allés outre sur le mont d’Yppre et là s’étoient logés. Le mercredi au matin le roi s’en vint loger sur le mont d’Yppre, et là s’arrêta ; et tous gens passoient, et charroy, tant à Comines comme à Warneston ; car il y avoit grand peuple et grands frais de chevaux. Ce mercredi passa l’arrière-garde du roi le pont de Comines, où il y avoit deux mille hommes d’armes et deux cents arbalêtriers, desquels le comte d’Eu, le comte de Blois, le comte de Saint-Pol, le comte de Harecourt, le sire de Chastillon et le sire de la Fère étoient gouverneurs et meneurs ; et se logèrent ces seigneurs et leurs gens, ce mercredi, à Comines et là environ. Quand ce vint de nuit, que les seigneurs cuidoient reposer, qui étoient travaillés, on cria à l’arme ; et cuidèrent pour certain les seigneurs et leurs gens avoir bataille, et que les Flamands des chastelleries d’Yppre, de Cassel et de Berghes fussent recueillis et vinssent les combattre. Adonc s’armèrent les seigneurs et mirent leurs bassinets, et boutèrent leurs bannières et leurs pennons hors de leurs hôtels, et allumèrent fallots ; et se trairent tous sur les chaussées, chacun seigneur dessous sa bannière ou son pennon. Et ainsi comme ils venoient ils s’ordonnoient ; et se mettoient leurs gens dessous leurs bannières, ainsi qu’ils dévoient être et aller. Là forent en celle peine et en l’ordure presque toute la nuit, jusques en-my jambe. Or regardez si les seigneurs l’avoient d’avantage, le comte de Blois et les autres, qui n’avoient pas appris à souffrir telle froidure ni telle mésaise, à telles nuits comme au mois devant Noël, qui sont si longues ; mais souffrir pour leur honneur leur convenoit, et ils cuidoient être combattus, et de tout ce ne fut rien ; car le haro étoit monté par varlets qui s’étoient entrepris ensemble. Toutefois les seigneurs en orent celle peine, et la portèrent au plus bel qu’ils purent.

Quand ce vint le jeudi au matin, l’arrière-garde se délogea de Comines ; et chevauchèrent ordonnément et en bon arroy devers leurs gens, lesquels étoient tous logés et arrêtés sur le mont de Yppre, l’avant-garde, la bataille du roi et tout. Là orent les seigneurs conseil quelle chose ils feroient, ou si ils iroient devant Yppre, ou devant Courtray, ou devant Bruges ; et entrementes qu’ils se tenoient là, les fourrageurs françois couroient le pays où ils trouvoient tant de biens, de bêtes et de toutes autres pourvéances pour vivre que merveille est à considérer : ni depuis qu’ils furent outre le pas de Comines, ils n’eurent faute de nuls vivres. Ceux de la ville d’Yppre, qui sentoient le roi de-lez eux et toute sa puissance, et le pas conquis, n’étoient mie bien assurs ; et regardèrent entre eux comment ils se maintiendroient. Si mirent ensemble le conseil de la ville. Les hommes notables et riches, qui toujours avoient été de la plus saine partie, si ils l’eussent osé montrer, vouloient que on envoyât devers le roi crier merci, et que on lui envoyât les clefs de la ville. Le capitaine, qui étoit de Gand, et là établi par Philippe d’Artevelle, ne vouloit nullement que on se rendît, et disoit : « Notre ville est forte assez, et si sommes bien pourvus ; nous attendrons le siége, si assiéger on nous veut : entrementes fera Philippe, notre regard, son amas, et venra combattre le roi à grand’puissance de gens, ne créez jà le contraire, et lèvera le siége. »

Les autres répondoient, qui point n’étoient