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LIVRE II.

avoit greigneur fiance qu’il n’avoit ès autres. Et se tenoient ceux de Gand et Philippe et leurs bannières tout devant, et ceux de la chastellenie d’Alost et de Grantmont ; après ceux de la chastellenie de Courtray ; et puis ceux de Bruges, du Dan et de l’Écluse ; et ceux du Franc de Bruges étoient armés la greigneur partie de maillets, de houètes et de chapeaux de fer, d’hauquetons et de gands de baleine ; et portoit chacun un plançon à picot de fer et à virole. Et avoient par villes et par chastellenies parures semblables pour reconnaître l’un l’autre ; une compagnie cottes faissés de jaune et de bleu, les autres à une bande de noir sur une cotte rouge ; les autres cheveronnés de blanc sur une cotte bleue ; les autres ondoyés de vert et de bleu ; les autres une faisse échiquetée de blanc et de noir ; les autres écartellés de blanc et de rouge ; les autres toutes bleues et un quartier de rouge ; les autres coupés de rouge dessus et de blanc dessous. Et avoient chacuns bannières de leurs métiers, et grands couteaux à leurs côtés parmi leurs ceintures ; et se tenoient tout cois en cel état en attendant le jour qui vint tantôt.

Or vous dirai de l’ordonnance des François, autant bien comme j’ai recordé des Flamands.


CHAPITRE CXCIV.


Comment le roi se mit aux champs emprès Rosebecque, où il fut surtout ordonné ; et comment le connétable s’excusa au roi.


Bien savoit le roi de France et les seigneurs qui de-lez lui étoient et qui sur les champs se tenoient, que les Flamands approchoient, et que ce ne se pouvoit passer que bataille n’y eût ; car nul ne traitoit de la paix, et aussi toutes les parties en avoient grand volonté. Si fut crié et noncié le mercredi au matin parmi la ville de Yppre que toutes manières de gens d’armes se traissent sur les champs de-lez le roi et se missent en ordonnance, ainsi qu’ils savoient qu’ils devoient être. Tous obéirent à ce ban fait de par le roi, de par le connétable et de par les maréchaux : ce fut raison ; et ne demeura nuls hommes d’armes ni gros varlets en Yppre quand leurs maîtres furent descendus. Mais toutefois ceux de l’avant-garde en avoient grand’foison avecques eux, pour les aventures du chasser et pour découvrir les batailles ; à ceux-là besognoit-il le plus que il ne faisoit aux autres. Ainsi se tinrent les François ce mercredi sur les champs assez près de Rosebecque ; et entendoient les seigneurs à leurs besognes et à leur ordonnance.

Quand ce vint au soir, le roi donna à souper à ses trois oncles, au connétable de France, au sire de Coucy et à aucuns autres seigneurs étrangers de Hainaut, de Brabant, de Hollande et de Zélande, d’Allemagne, de Lorraine, de Savoie, qui l’étoient venus servir ; et les remercia grandement, et aussi firent ses oncles, du bon service qu’ils lui faisoient et montroient à faire. Et fit ce soir le gait pour la bataille du roi, le comte de Flandre ; et avoit en sa route bien six cens lances et douze cens hommes d’autres gens. Ce mercredi au soir, après ce souper que le roi avoit donné à ces seigneurs, et que ils furent retraits, le connétable de France demeura derrière, et dernièrement au prendre congé, pour parler au roi et à ses oncles de leurs besognes. Ordonné étoit du conseil du roi ce que je vous dirai : que le connétable, messire Olivier de Cliçon, se desmettroit pour le jeudi, lendemain, car on espéroit bien que on auroit la bataille, de l’office de la connétablie ; et le seroit seulement pour ce jour en son lieu le sire de Coucy, et il demeureroit de-lez le roi. Et avint que, quand le connétable prit congé au roi, le roi lui dit moult doucement et amiablement, si comme il étoit enditté de dire : « Connétable, nous voulons que vous nous rendiez votre office pour le jour de demain ; car nous y avons autre ordonné, et voulons que vous demeurez de-lez nous. » De ces paroles, qui furent toutes nouvelles au connétable, fut-il moult grandement émerveillé : si répondit et dit : « Très cher sire, je sais bien que je ne puis avoir plus haut honneur que de aider à garder votre personne ; mais, cher sire, il venroit à grand contraire et déplaisance à mes compagnons et à ceux de l’avant-garde, si ils ne m’avoient en leur compagnie ; et plus y pourriez perdre que gagner. Je ne dis mie que je sois si vaillant que par moi se puist achever celle besogne ; mais je dis, cher sire, sauve la correction de votre noble conseil, que depuis quinze jours, en çà, je n’ai à autre chose entendu, fors à parfournir à l’honneur de vous et de vos gens mon office, et ai endittés les uns et les autres comment ils se doivent maintenir ; et si demain que nous nous combattrons, par la grâce de Dieu, ils ne