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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

appareillés, et étoient ordonnés ainsi que pour tantôt combattre et entrer en bataille.

Le roi étoit encore au Bourget[1], et aussi étoient tous les seigneurs, quand on leur rapporta ces nouvelles, et leur fut conté tout l’état de ceux de Paris ; et dirent les seigneurs : « Véez là orgueilleuse ribaudaille et pleine de grands bobans, à quoi faire montrent-ils maintenant leurs états ? Si ils fussent venus servir le roi au point où ils sont quand il alla en Flandre, ils eussent mieux fait ; mais ils n’en avoient pas la tête enflée fors que de dire et de prier à Dieu que jamais pied de nous n’en retournât. » En ces paroles étoient aucuns qui boutoient fort avant pour gréver les Parisiens, et disoient ; « Si le roi est bien conseillé, il ne se mettra jà entre tel peuple qui vient contre lui à main armée ; et ils dussent venir humblement et en procession, et sonner les cloches de Paris, en louant Dieu de la belle victoire que il lui a envoyée en Flandre. »

Là furent ces seigneurs tous pensifs de savoir comment ils se maintiendroient. Finablement conseillé fut que le connétable de France, le sire de la Breth, le sire de Coucy, messire Guy de la Tremoille et messire Jean de Vienne venroient parler à eux et leur demanderoient pour quelle cause ils étoient à si grand’foison issus hors de Paris, à main et tête armées, contre le roi, et que tels affaires ne furent oncques mais vus en France. Et sur ce qu’ils répondroient, ces seigneurs étoient conseillés de parler ; car ils étoient bien si sages et si avisés que pour ordonner d’une telle besogne et plus grande encore dix fois.

Adonc se départirent de la compagnie du roi et des seigneurs sans armure nulle ; et pour leur besogne mieux colorer, et aussi mettre au plus sûr, ils emmenèrent avecques eux, ne sais, trois ou quatre hérauts lesquels ils firent chevaucher devant, et leur dirent : « Allez jusques à ces gens et leur demandez sauf conduit pour nous, allans et venans, tant que nous aurons parlé à eux et remontré la parole du roi. »

Les hérauts partirent et férirent chevaux des éperons et tantôt furent venus jusques à ces Parisiens. Quand les Parisiens les virent venir, ils ne cuidoient pas que ils vinssent parler à eux, mais tenoient que ils alloient à Paris, ainsi que compagnons vont devant. Les hérauts qui avoient vêtu leurs cottes d’armes, demandèrent tout haut : « Où sont les maîtres ? Lesquels de vous sont les capitaines ? Il nous faut parler à eux ; car sur cet état sommes-nous ici envoyés des seigneurs. » Adonc se aperçurent bien par ces paroles les aucuns de Paris que ils avoient mal ouvré : si baissèrent les têtes, et dirent : « Il n’y a ici nuls maîtres ; nous sommes tout un et au commandement du roi notre sire et de vos seigneurs ; dites ce que dire voulez, de par Dieu ! » — « Seigneurs, dirent-ils, nos seigneurs qui ci nous envoient, si les nommèrent, ne savent mie à quoi vous pensez. Si vous prient et requièrent que paisiblement et sans péril ils puissent venir parler à vous et retourner devers le roi, et faire réponse telle que vous leur direz : autrement ils n’y osent venir. » — « Par ma foi, répondirent ceux à qui les paroles adressèrent, il ne convient mie dire cela à nous fors que de leur noblesse ; et nous cuidons que vous vous gabez. » Répondirent les hérauts : « Mais nous parlons tout acertes. » — « Or, allez donc, dirent les Parisiens, et leur dites que ils viennent ci tout sûrement ; car ils n’auront nul mal par nous ; mais sommes appareillés à faire leur commandement. »

Adonc retournèrent les hérauts aux seigneurs dessus nommés et leur dirent ce que vous avez ouï. Lors chevauchèrent avant les quatre barons, les hérauts en leur compagnie, et vinrent jusques aux Parisiens, que ils trouvèrent en arroy et convenant de une belle bataille et bien ordonnée ; et là y avoit plus de vingt mille maillets, les aucuns fourchus, sans les arbalêtriers et hommes d’armes, dont ils étoient grand’foison et bien en nombre soixante mille et plus. Ainsi que les seigneurs passoient, ils les regardoient et en prisoient en eux-mêmes assez bien la manière. Et les Parisiens en passant les inclinoient : quand ces seigneurs furent ainsi que au milieu de eux, ils s’arrêtèrent. Adonc parla le connétable tout haut, et demanda en disant : « Et vous, gens de Paris, qui vous meut maintenant à être vidés hors de Paris en telle ordonnance ? Il semble, qui vous voit rangés et ordonnés, que vous veuilliez combattre le roi qui est votre sei-

  1. En passant à Saint-Denis il vint y déposer en pompe l’oriflamme dans l’abbaye. Le moine anonyme de Saint-Denis nous raconte que Pierre de Villiers, garde de l’oriflamme, attesta sur serment le miracle qu’elle avait opéré à Rosebecque ; miracle, disait Pierre de Villiers, où la nature n’avait point de part ; car le soleil ne fut que pour les Français.