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LIVRE II.

royaume d’Espaigne contraire à ses opinions et aloyés à Clément avecques le roi de France, il s’avisa que de cel or et cel argent qu’il feroit lever et cueillir parmi le royaume d’Angleterre, le duc de Lancastre qui se tenoit roi de Castille de par sa femme, y partiroit, pour faire pareillement une autre armée en Castille. Et si le duc de Lancastre, avec puissance de gens d’armes acceptoit ce voyage, il accorderoit au roi de Portingal, lequel avoit guerre nouvelle au roi Jean de Castille, car le roi Ferrand étoit mort, un plein dixième partout le royaume de Portingal. Ainsi ordonna Urbain ses besognes ; et envoya plus de trente bulles en Angleterre, lesquelles en celle saison on reçut à grand joie.

Adonc les prélats en leurs prélations et seigneuries commencèrent à prêcher ce voyage par manière de croisière. Dont le peuple d’Angleterre, qui créoit assez légèrement, y ot trop grand’foi ; et ne cuidoit nul ni nulle issir de l’an à honneur ni jamais entrer en paradis, si il n’y donnoit et mettoit du sien. De pures aumônes à Londres et au diocèse il y ot plein un tonnel de Gascogne d’or et d’argent ; et qui le plus y donnoit, selon la bulle du pape, plus il avoit de pardons. Et tous ceux qui mouroient en celle saison, qui le leur entièrement résignoient et donnoient à ces pardons, étoient absous de peine et de coulpe par la teneur de la bulle. Tous heureux, disoient-ils en Angleterre, étoient tous ceux qui pouvoient mourir en celle saison, pour avoir si noble absolution. On cueillit en cel hiver et au carême, parmi Angleterre, tant par aumônes que par les dixièmes des églises, car tous étoient taillés et de eux-mêmes ils se tailloient trop volontiers, tant que on eut la somme de vingt cinq cent mille francs.

Quand le roi d’Angleterre et ses oncles et leurs consaulx furent informés et de vrai acertenés de la mise, si en furent tout joyeux, et dirent que ils avoient argent assez pour faire guerre aux deux royaumes, c’est à entendre France et Espaigne. Pour aller en Espaigne, au nom du pape et des prélats d’Angleterre avec le duc de Lancastre, fut ordonné l’évêque de Londres, qui s’appeloit Thomas, frère au comte de Devensière ; et devoient avoir charge de deux mille lances et de quatre mille archers, et leur devoit-on la moitié de cel argent départir. Mais ils ne devoient pas sitôt issir hors d’Angleterre que l’évêque de Norduich et sa route faisoient, pourtant que celle armée devoit arriver à Calais et entrer en France. Si ne savoit-on comment ils se porteroient, ni si le roi de France à puissance venroit contre eux pour les combattre.

Encore y avoit un autre point contraire au duc de Lancastre, qui grand’joie avoit de ce voyage : que toute la communauté généralement d’Angleterre s’inclinoit trop plus à être avec l’évêque de Norduich que de aller avec le duc de Lancastre ; car le duc, de trop grand temps avoit, n’étoit point en la grâce du peuple ; et si leur étoit le voyage de France plus prochain que celui d’Espaigne. Et disoient encore les aucuns en derrière, que le duc de Lancastre, pour la convoitise de l’or et de l’argent que il sentoit au pays, qui venoit de l’église et des aumônes des bonnes gens, pour en avoir sa part, s’y inclinoit plus que par dévotion que il y eût. Mais cel évêque de Norduich représentoit le pape et étoit par lui institué et député à ce faire ; parquoi la greigneur partie de Angleterre y ajoutoit grand’foi, et le roi Richard aussi.

Si furent ordonnés aux gages de l’église et de cel évêque Henry le Despenser, plusieurs bons chevaliers et écuyers d’Angleterre et de Gascogne, tels que le seigneur de Beaumont, Anglois, messire Hue de Cavrelée, messire Thomas Trivet, messire Guillaume Helmen, messire Jean de Ferrières, messire Hue le Despenser, cousin à l’évêque, fils de son frère, messire Guillaume Firenton, messire Mahieu Rademen, capitaine de Bervich, le seigneur de Chastel-Neuf, Gascon, messire Jean, son frère, Raymond de Marsen, Guillonnet de Pans, Garriot Vighier et Jean de Canchitan et plusieurs autres ; et furent, tous comptés, environ six cens lances et quinze cens d’autres gens. Mais grand’foison y avoit de prêtres, pour la cause de ce que la chose touchoit à l’église et venoit de leur pape.

Ces gens d’armes et ces routes firent leurs pourvéances bien et à point ; et leur délivroit le roi passage à Douvres et à Zanduich. Là firent-ils, environ Pâques, toutes leurs pourvéances et se trairent là, ceux qui passer vouloient, petit à petit ; et faisoient ce voyage par manière de croiserie.

Avant ce que l’évèque et les capitaines qui avec lui étoient, espécialement messire Hue de Cavrelée, messire Thomas Trivet et messire