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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Guillaume Helmen, ississent hors d’Angleterre, ils furent mandés au conseil du roi et là jurèrent solemnellement, le roi présent, de traire à chef à leur loyal pouvoir leur voyage, et que jà ils ne se combattroient contre homme ni pays qui tinssent Urbain à pape, mais à ceux qui l’opinion de Clément soutenoient : ainsi le jurèrent-ils trop volontiers. Et là dit le roi par l’accord de son conseil : « Évêque, et vous Hue, Thomas et Guillaume, vous venus à Calais, vous séjournerez sur les frontières en hériant France, un mois ou environ. Et dedans ce terme je vous rafreschirai de gens d’armes et d’archers, et vous envoierai un bon maréchal et vaillant homme, messire Guillaume de Beauchamp ; car je l’ai envoyé querre. Il est en la marche d’Escosse où il a la journée et frontière de parlement pour nous contre les Escots ; car les trêves de nous et des Escots doivent faillir à celle Saint-Jean. Lui revenu, vous l’aurez sans faute en votre compagnie ; si l’attendez ; car il vous sera très nécessaire de sens et de bon conseil. »

L’évêque de Norduich et les chevaliers dessus nommés lui orent en convenant que aussi feroient-ils ; et sur cel état se partirent-ils du roi et se mirent sur leur voyage ; et montèrent en mer à Douvres et arrivèrent à Calais le vingt troisième jour du mois d’avril, l’an mil trois cent quatre vingt et trois[1].

Pour ce temps étoit capitaine de Calais messire Jean d’Ewrues qui reçut l’évêque et les compagnons à grand’joie. Si mirent hors de leurs vaisseaux petit à petit leurs chevaux et leurs harnois, et se logèrent, ceux qui loger se purent, à Calais et environ, en bastides que ils avoient fait et faisoient tous les jours ; et furent là jusques à quatre jours en mai, en attendant leur maréchal, messire Guillaume de Beauchamp, qui point ne venoit. Quand messire Jean, évêque de Norduich, qui étoit jeune et voulenturieux et qui se désiroit à armer, car encore s’étoit-il petit armé, fors en Lombardie avecques son frère, se vit à Calais et capitaine de tant de gens d’armes, si dit une fois à ses compagnons : « À quelle fin, beaux seigneurs, séjournons-nous ici tant ? Messire Guillaume de Beauchamp ne viendra point. Il ne souvient ores au roi ni à ses oncles de nous. Faisons aucun exploit d’armes, puisque nous sommes ordonnés à ce faire ; employons l’argent de l’église loyaument, puisque nous en vivons ; et reconquérons de nouvel sur les ennemis. » — « C’est bon, répondirent ceux qui à ces paroles furent. Faisons savoir à nos gens que nous voulons chevaucher dedans trois jours, et regardons quelle part nous irons ni trairons ; nous ne pouvons partir ni issir des portes de Calais nullement que nous n’entrons sur terre d’ennemis, car c’est France de tous côtés, autant bien vers Flandre comme vers Boulogne ou Saint-Omer ; car Flandre est terre de conquêt, et l’a conquise par puissance le roi de France. Aussi nous ne pourrions faire meilleur exploit, tout considéré, ni plus honorable, que du recouvrer et reconquérir. Et le comte de Flandre a fait un grand dépit à nos gens, quand, sans nul titre de raison il les a bannis et chassés, hors de Bruges et du pays de Flandre. Il n’y a pas deux ans que il eût fait ce moult envis ; mais à présent il lui convient obéir aux ordonnances et plaisirs du roi de France et des François. » — « Donc si j’en étois cru, dit l’évêque de Norduich, la première chevauchée que nous ferions ce seroit en Flandre. » — « Vous en serez bien cru, ce répondirent messire Thomas Trivet et messire Guillaume Helmen ; ordonnons nous sur ce et chevauchons celle part dedans trois jours ; car ce sera sur terre d’ennemis. » À ce conseil se sont du tout tenus et le firent à savoir à leurs gens.

À toutes ces paroles dites et devisées n’etoit mie messire Hue de Cavrelée ; ainçois étoit allé voir un sien cousin qui étoit capitaine de Guines, et s’appeloit messire Jean Draiton ; et demeura à Guines tout ce jour que il y alla, en intention de à lendemain revenir ; si comme il fit. Quand il fut revenu, l’évêque le manda dedans le chastel où il étoit logé, et les autres chevaliers aussi ; et pour tant que messire Hue étoit le plus usé d’armes de tous les autres et qui le plus avoit vu et été en grandes besognes, les chevaliers avoient dit à l’évêque qu’ils voudroient avoir l’avis de messire Hue, ainçois que ils fissent rien. Si lui dit l’évêque, présens eux, les paroles dessus dites, et lui commanda que il en dît son avis. Messire Hue répondit et dit à l’évêque : « Sire, vous savez sur quel état nous sommes issus d’Angleterre ; notre fait de rien ne touche au fait de la guerre des rois, fors sur les Clémentins ; car

  1. On trouve dans Rymer plusieurs actes sur cette croisade de l’évêque de Norwich.