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LIVRE II.

nous sommes soudoyers au pape Urbain, qui nous absout de peine et de coulpe si nous pouvons détruire les Clémentins. Si nous allons en Flandre, quoique le pays soit au duc de Bourgogne et au roi de France, nous nous forferons ; car j’entends que le comte de Flandre et tous les Flamands sont aussi bons Urbanistes que nous sommes. De rechef nous n’avons pas assez gens pour entrer en Flandre ; car ils sont grand peuple tout appareillés ès faits de la guerre, car ils n’ont eu autre soin puis quatre ans ; et si y a durement fort pays pour entrer et chevaucher ; et si ne nous ont les Flamands rien forfait. Mais si nous voulons chevaucher, chevauchons en France : là sont nos ennemis par deux manières. Le roi notre sire a guerre ouverte à eux ; et si sont les François tous Clémentins et contraires à notre créance tant que de pape. Outre nous devons attendre notre maréchal messire Guillaume de Beauchamp, qui doit hâtivement venir atout grand’gent ; et ce fut la dernière parole du roi notre sire, que il le nous envoieroit. Si loue et conseille de mon avis, puisque chevaucher voulons, que nous chevauchons vers Aire ou Montreuil : nul ne nous venra encore au devant ; et toujours nous croîtront gens qui istront de Flandre, et qui ont le leur tout perdu, et qui viendront gagner avecques nous, et qui ont encore au cœur la félonnie et le mautalent sur les François qui leur ont mort et occis en ces guerres leurs pères et leurs fils et leurs amis. »

À peine put avoir messire Hue finée sa parole, quand l’évêque le reprit, comme chaud et bouillant que il étoit, et lui dit : « Oil, oil, messire Hue, vous avez tant appris au royaume de France à chevaucher, que vous ne savez chevaucher ailleurs. Où pouvons-nous mieux faire notre plaisir et profit que de entrer en celle riche frontière de mer, de Bourbourch, de Dunquerque, de Neuport et en la chastellerie de Bergues, de Cassel, de Yppre et de Pourperinghe ? En ce pays-là que je vous nomme, si comme je suis informé des bourgeois de Gand qui sont ci en notre compagnie, ils ne firent oncques guerre qui leur grévât. Si nous irons là rafreschir et attendre messire Guillaume de Beauchamp si il veut venir ; encore n’est-il mie apparent de sa venue. »

Quand messire Hue de Cavrelée se vit ainsi rebouté de cel évêque, qui étoit de grand lignage en Angleterre et qui étoit leur capitaine, quoiqu’il fût vaillant chevalier, si se tut, et aussi il ne fut point aidé à soutenir sa parole de messire Thomas Trivet et de messire Guillaume Helmen ; et se partit de la place en disant : « Pardieu, sire, si vous chevauchez, messire Hue de Cavrelée chevauchera avec vous ; ni vous ne serez jà en voie ni en chemin où il ne se ose bien voir. » — « Je le crois bien, dit l’évêque, qui avoit grand désir de chevaucher ; or vous appareillez, car nous chevaucherons le matin. »

À ce propos se sont-ils du tout tenus ; et s’ordonnèrent de chevaucher à lendemain ; et fut leur chevauchée signifiée parmi la ville de Calais et en tous les logis. Quand ce vint au matin, les trompettes sonnèrent ; tous se départirent et prirent les champs et le chemin de Gravelines ; et pouvoient être en compte environ trois mille têtes armées. Tant cheminèrent que ils vinrent sur le port de Gravelines. Pour l’heure la mer étoit basse ; si passèrent outre et entrèrent au port, et le pillèrent, et assaillirent le moûtier que ceux de la ville avoient fortifié, et la ville qui étoit fermée de palis povrement, laquelle ne se put longuement tenir ; car il n’y avoit que ceux de la ville qui n’étoient que bons hommes et gens de mer. Car si il y eût des gentilshommes, ils se fussent bien plus longuement tenus que ils ne firent ; et aussi ceux du pays environ n’avoient point été signifiés de celle guerre et ne se doutoient point des Anglois. Si conquirent par assaut ces Anglois la ville de Gravelines et entrèrent ens, et puis allèrent vers le moûtier où les gens s’étoient retraits, et avoient mis leurs meubles, sur la fiance du fort lieu, leurs femmes et leurs enfans, et avoient autour de ce moûtier fait grands fossés : si ne les orent pas les Anglois à leur aise ; mais séjournèrent deux jours en la ville avant que ils pussent avoir le moûtier. Finablement ils le conquirent, et occirent grand’foison de ceux qui le gardoient ; et du demeurant ils firent leur volonté. Ainsi furent-ils seigneurs de Gravelines, et se logèrent en la ville, et y trouvèrent des pourvéances assez. Alors se commença tout le pays à émouvoir et à être effréé, quand ils entendirent que les Anglois étoient à Gravelines ; et se boutèrent les plusieurs du plat pays ens ès forteresses, et envoyèrent femmes et enfans à Bergues, à Bourbourch et à Saint-Omer. Le comte de Flandre qui se tenoit à Lille entendit ces nouvelles que