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LIVRE II.

chevauchée ; oncques si povre ni si malheureuse n’issit hors d’Angleterre. Vous avez ouvré de votre volonté et cru cet évêque de Norduich qui cuidoit voler ainçois qu’il eût ailes : or véez-vous l’honorable fin que vous y prenez. Sur tout ce voyage je ne pus oncques être cru de chose que je desisse ; si que je vous dis, véez là Bourbourch, retraiez-vous là si vous voulez ; mais je passerai outre et m’en irai droit à Gravelines et à Calais ; car nous ne sommes pas gens pour combattre le roi de France. » Ces chevaliers anglois, qui connurent assez que ils avoient eu tort en aucunes choses, répondirent : « Dieu y ait part, et nous retrairons en Bourbourch, et là attendrons-nous l’aventure telle que Dieu la nous voudra envoyer. »

Ainsi se départit messire Hue de Cavrelée de leur compagnie, et les autres vinrent en Bourbourch.

Le roi de France fut assez tôt signifié que les Anglois étoient issus de Berghes et retraits vers Bourbourch, et Berghes tout vide. Adonc lui furent les portes ouvertes ; si y entra le roi et tous ceux qui entrer y vouldrent. Les premiers qui y entrèrent y trouvèrent encore assez à prendre et à piller ; car les Anglois n’avoient pu tout emporter. Et furent les dames de la ville sauvées et envoyées à Saint-Omer : mais les hommes furent ainsi que tous morts. Si fut la ville de Berghes mise et contournée en feu et en flamme ; et passa le roi outre pour le grand feu qui y étoit, et vint loger en un village près d’une abbaye ; ce fut le vendredi ; et se logèrent les seigneurs esparsement aux champs au mieux que ils purent. De ce étoient-ils heureux qu’il faisoit bel et sec, ni il ne pouvoit faire plus belle saison ni plus gracieuse ; car si il eût fait frès ni pluvieux, ils ne pussent être allés avant ni en fourrage. Et se pouvoit-on émerveiller où on prenoit les fourrages pour affourager les chevaux ; car il y en avoit plus de trois cent mille ; et aussi les biens et les vitailles que il convenoit pour avitailler un tel ost ; mais le samedi, quand on vint devant Bourbourch, pourvéances vinrent. Bien savoient les seigneurs de France que les Anglois étoient retraits dedans Bourbourch ; si orent conseil de eux là dedans enclorre et de assaillir la ville et de prendre ; et en avoient par espécial les Bretons grand’convoitise, pour le grand pillage que ils sentoient dedans.

Quand ce vint le samedi au matin, il fit moult bel et moult clair ; l’ost s’arma et ordonna pour venir devant Bourbourch. L’avant-garde, le connétable, le duc de Bretagne, le comte de Flandre, le comte de Saint-Pol et bien trois mille lances passèrent au dehors des murs de la ville, et s’arrêtèrent tout outre à l’opposite de l’ost du roi.

Le roi de France, qui avoit la plus belle gent d’armes que on pût voir et imaginer, et la plus grand’foison, s’en vint en un beau plain champ, grand et large devant Bourbourch, et là s’ordonnèrent tous les seigneurs ; ce fut un grand temps leur intention de l’assaillir ; et étoient sur les champs bannières et pennons ventilans, et chacun sire entre ses gens et dessous sa bannière. Là se remontroient entre ces seigneurs de France honneurs et richesses, ni rien n’y avoit épargné de grands états. Et là fut le sire de Coucy et ses états volontiers vu et recommandé ; car il avoit coursiers parés et armoyés, et houssés des anciennes armes de Coucy et aussi de celles que il porte pour le présent ; et étoit monté le sire de Coucy sur un coursier bien et à main. Si chevauchoit et alloit de l’un à l’autre ; et trop bien lui avenoit à faire ce qu’il faisoit ; et tous ceux qui le véoient le prisoient et honoroient pour la faconde de lui. Ainsi tous les autres seigneurs se maintenoient et remontroient là leur état. Si y ot fait ce jour plus de quatre cens chevaliers ; et fut par les hérauts nombré le nombre des chevaliers que le roi ot devant Bourbourch à neuf mille et sept cens chevaliers ; et étoient, en somme toute, vingt quatre mille hommes d’armes chevaliers et écuyers.

Les Anglois qui étoient à leurs défenses en la ville de Bourbourch, et qui véoient la puissance du roi de France si grande devant eux, espéroient bien à avoir l’assaut. De ce étoient-ils tous confortés ; mais de ce qu’ils se trouvoient enclos en une ville qui n’étoit fermée que de palis, ils n’étoient pas bien assurs. Toutefois, comme gens pleins de grand confort, ils s’étoient tous partis par connétablies et arrangés tout autour de la ville. Le sire de Beaumont en Angleterre, qui est un comte et s’appeloit Henry[1], étoit à cent hommes d’armes et trois cens archers et comprenoit d’une porte mouvant jusques à une

  1. Suivant Dugdale, le sire de Beaumont s’appelait Jean. C’était son fils qui portait le nom de Henry.