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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

puissance. La dame fut tout esbahie de ces paroles ; non-pour-quant elle se tint ce que elle put, et manda secours à ses gens dont elle pensoit à être aidée ; mais oncques nul n’apparut ni ne se mit sur les champs contre le marquis de Blanquebourch ; et montrèrent les seigneurs de Hongrie que ils avoient aussi cher la marchandise aux Allemands comme aux François. Quand la dame vit qu’il n’en seroit autre chose et qu’elle ne seroit autrement confortée de ses gens, si se laissa conseiller ; car le marquis lui promettoit que, si par force il la prenoit, il la feroit emmurer en une tour et la tenir au pain et à l’eau, et vesquist tant qu’elle pût. De ces nouvelles fut la roine toute effréée ; car elle se sentoit en trop foible lieu, et si étoit là venue sans nulles pourvéances, ni de gens, ni de vivres. Si traita et bailla sa fille au marquis de Blanquebourch, qui tantôt l’épousa et geut avecques elle charnellement. Si fut roi de Hongrie.

Ainsi vint messire Henry de Bohême, marquis de Blanquebourch à l’héritage du royaume de Hongrie, dont il fut roi le plus par force, et le moins par amour, tant que au consentement de la vieille roine ; mais faire lui convint ou écheoir en pire marché.

Ces nouvelles furent tantôt avolées en France devers l’évêque et les chevaliers et écuyers de Hongrie qui là étoient et qui au chemin mettre se vouloient. Et jà étoit le comte de Valois parti et venu à Troyes en Champagne, et avoit pris congé au roi et à son oncle de Bourgogne. Quand ces nouvelles lui vinrent en la main, lui convint porter ; car autre chose n’en put avoir. Si s’en partirent les Hongres tous courroucés et bien y avoit cause ; et le comte de Valois retourna à Paris devers le roi. Et plusieurs grands seigneurs de France et du sang du roi ne firent compte de ce contre-mariage de Hongrie ; et dirent que le comte de Valois étoit bien heureux quand on lui avoit tollu sa femme ; car Hongrie étoit un trop lointain pays et mal à main pour les François ; ni jà n’en eussent été aidés ni confortés. On mit ces choses en non-chaloir, et pensa-t-on à un autre mariage pour le dit comte : ce fut à la fille du duc de Milan qui seroit héritière de toute Lombardie, laquelle est plus riche et plus grasse que n’est Hongrie, et mieux à main pour les François. Nous lairons à parler de ce mariage et parlerons du duc de Bourbon qui étoit en Poitou à siége devant Breteuil ; et puis retournerons à l’amiral de France, messire Jean de Vienne, qui étoit en Escosse, et conterons comment il s’y porta.


CHAPITRE CCXXXIV.


Comment le duc de Bourbon prit en Poitou plusieurs forteresses, et entre les autres le fort chastel de Breteuil.


En celle saison que le roi de France fut en Flandre, tant devant le Dam comme ailleurs, le duc de Bourbon, à belle charge de gens d’armes, fit sa chevauchée en Limousin et en Poitou, et y prit plusieurs forts et garnisons anglesches qui s’y tenoient, tels que le San, Tronchette, Archiac, Garnace, Mont-Leu à huit lieues de Bordeaux et Taillebourch sur Carente ; et puis s’en vint mettre le siége devant Breteuil, un moult bel et fort chastel en Poitou sur les marches de Limousin et de Xaintonge. De Breteuil étoient capitaines : Andrieu Pruiars[1], Anglois, et Bertran de Montrivet, Gascon, et avoient là dedans avecques eux grand’foison de bons compagnons. Si y ot plusieurs assauts et escarmouches, et faites plusieurs appertises d’armes. Et presque tous les jours aux barrières y avoient de ceux de dehors à ceux de dedans escarmouches et faits d’armes où il avoit souvent des morts, des blessés. Et bien disoit le duc de Bourbon, que point de là ne partiroit si auroit le chastel à sa volonté ; et ainsi l’avoit-il promis au duc de Berry la darrenière fois que il avoit parlé à lui. Et avint, le siége étant devant Breteuil, que Bertran de Montrivet, qui étoit l’un des capitaines, devisoit à faire un fossé par dedans le fort, pour eux mieux fortifier ; et ainsi comme il montroit et devisoit l’ouvrage à ses gens, et véez-ci venir le trait d’une dondaine[2] que ceux de l’ost laissèrent aller, duquel trait et par mésaventure Bertran fut aconsuivi et là occis ; lequel étoit en son temps échappé de seize siéges tous périlleux.

De la mort de Bertran furent les compagnons effréés et courroucés ; mais amender ne le purent. Si demeura Andrieu Pruiars capitaine. Depuis, environ quinze jours après, fut fait un traité de ceux du fort à ceux de l’ost ; et rendirent le chastel et les pourvéances, sauves leurs vies ; et furent conduits jusques à Bouteville, dont Durandon de la Perrade étoit capitaine.

  1. Prior.
  2. Machine à jeter de grosses pierres.