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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

au comte de Foix que il quittât au comte d’Ermignac, tout ou en partie, somme des florins que il lui devoit. Le prince, qui fut sage et vaillant homme, répondit, tout considéré, que non feroit. « Car pour quoi, comte d’Ermignac, vous fûtes pris par armes et par belle journée de bataille, et mit notre cousin, le comte de Foix, son corps et ses gens à l’aventure contre vous ; et si la fortune fut bonne pour lui et contraire à vous, il n’en doit pas pis valoir. Par fait semblable, monseigneur mon père ni moi ne sarions gré qui nous prieroit de remettre arrière ce que nous tenons par la belle aventure et la bonne fortune que nous eûmes à Poitiers, dont nous regracions notre seigneur. »

Quand le comte d’Ermignac ouït ce, si fut tout confus et ébahi, car il avoit failli à ses ententes ; nonobstant ce si ne cessa-t-il pas ; mais en pria la princesse, laquelle de bon cœur requit et pria au comte de Foix que il lui voulsist donner un don. « Madame, dit le comte, je suis un petit homme et un povre bachelier, si ne puis faire nuls grands dons, mais le don que vous me demandez, si il ne vaut plus de cinquante mille francs, je le vous donne. »

La princesse tiroit à ce que, outrement et pleinement, le don que elle demandoit le comte de Foix lui donnât ; et le comte qui sage et subtil étoit, et qui à ses besognes assez clair véoit, et qui espoir de la quittance du comte d’Ermignac se doutoit, son propos tenoit et disoit : « Madame, à un povre chevalier que je suis, qui édifie villes et chastels, le don que je vous accorde doit bien suffire. » Oncques la princesse n’en put autre chose avoir ni extraire, et quand elle vit ce : « Comte de Foix, je vous demande et prie que vous fassiez grâce au comte d’Ermignac. » — « Madame, répondit le comte, à votre prière dois-je bien descendre. Je vous ai dit que le don que vous me demandez, si il n’est plus grand de cinquante mille francs, je le vous accorde ; et le comte d’Ermignac me doit deux cent et cinquante mille francs ; à la vôtre requête et prière je vous en donne les cinquante mille. » Ainsi demeura la chose en tel état ; et gagna le comte d’Ermignac à la prière de la princesse d’Aquitaine cinquante mille francs. Si retourna le comte de Foix en son pays, quand il ot été trois jours de-lez le prince et la princesse d’Aquitaine.

CHAPITRE VI.

Comment la garnison de Lourdes guerroyoit le pays de Bigorre, et de la prise de Orlingas.


Je, sire Jehan Froissart, fais narration de ces besognes pour la cause de ce que, quand je fus en la comté de Foix et de Berne, je passai parmi la terre de Bigorre : si enquis et demandai de toutes nouvelles passées, des quelles je n’étois point informé ; et me fut dit que le prince de Galles et d’Aquitaine séjournant à Tharbes, il lui prinst volonté et plaisance d’aller voir le chastel de Lourdes, qui siéd à trois lieues de là entre les montagnes. Quand il fut venu jusques à Lourdes, il ot bien avisé et imaginé la ville, le chastel et le pays, si le recommanda moult grandement et chèrement tant pour la force du lieu comme pour ce que Lourdes siéd sur frontière de plusieurs pays ; car ceux de Lourdes peuvent courir moult avant dans le royaume d’Arragon et jusques en Casteloigne et Barcelonne. Si appela tantôt le prince un chevalier de son hôtel auquel il avoit grand’confiance et qui loyaument l’avoit servi ; et ce chevalier étoit nommé messire Piètre Ernault, du pays de Béarn, appert homme d’armes durement et cousin au comte de Foix : « Messire Piètre, dit le prince, à ma venue en ce pays je vous institue et fais chastelain et capitaine de Lourdes et regard du pays de Bigorre. Or regardez tellement ce chastel que vous en puissiez rendre bon compte à monseigneur de père et à moi. » — « Monseigneur, dit le chevalier, volontiers. » Là lui en fit-il foi et hommage et le prince l’en mit en possession.

Or devez-vous savoir que, quand la guerre se renouvela entre le roi de France et le roi d’Angleterre[1], si comme il est ci-dessus contenu en celle histoire, ainsi comme le comte Guy de Saint-Pol et messire Hue de Chastillon, maître des arbalêtriers, pour le temps, de tout le royaume de France, assiégèrent et prindrent de fait la ville d’Abbeville et tout le pays de Ponthieu, deux grands barons de Bigorre, lesquels sont ou étoient nommés messire Monnant de Barbasan et le sire d’Anchin, se tournèrent François et se saisirent aussi en celle saison de la cité, de la ville et du chastel de Tharbes, car ils étoient foiblement gardés pour le roi d’Angleterre. Or de-

  1. Dans l’année 1369.