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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

quatre cens vilains tous chargés de fagots. Si appuyèrent ces fagots contre celle bastide, et encore grand’foison de bois que ils coupèrent en ces haies et en ces buissons, et puis boutèrent le feu dedans. Si ardirent la bastide et tous ceux qui dedans étoient, sans nul prendre à merci : oncques depuis nul ne s’y osa ramasser. »

En telles paroles et devises nous chevauchâmes tout le jour contremont la rivière de Garonne ; et véy d’une et d’autre part la rivière plusieurs beaux chastels et forteresses. Tous ceux qui étoient par delà, à la main senestre, étoient pour le comte de Foix, et cils de par çà devers nous étoient pour le comte d’Ermignac. Et passâmes à Mont-Pezat, un très beau chastel et très fort pour le comte d’Ermignac, séant haut sur une roche ; et dessous est le chemin et la ville. Au dehors de la ville, le trait d’une arbalète, à un pas que on dit à la Garde, est une tour sur le chemin, entre la roche et la rivière, et dessous celle tour, sur le passage, a une porte de fer coulisse ; et pourroient six personnes garder ce passage contre tout le monde ; car ils n’y peuvent que deux chevaucher de front pour les roches et la rivière. Adonc dis-je au chevalier ; « Sire, véez ci un fort passage et une forte entrée de pays. » — « C’est voir, répondit le chevalier ; et combien que l’entrée soit forte, toute fois le comte de Foix la conquit une fois ; et passèrent lui et ses gens tout par ci, et vinrent à Palamininch et à Montesquieu et jusques à la cité de Pammiers. Si étoit le passage assez bien gardé ; mais archers d’Angleterre qu’il avoit en sa compagnie lui aidèrent grandement son fait à faire, et le grand désir aussi qu’il avoit de passer tout outre pour venir en la marche de Pammiers. Or chevauchez de-lez moi et je vous dirai quelle chose il y fit adonc. » Lors chevauchai-je de-lez messire Espaing de Lyon et il me commença à faire sa narration.

« Le comte d’Ermignac et le sire de la Breth, ce dit le chevalier, atout bien cinq cens hommes d’armes, s’en vinrent en la comté de Foix et en la marche de Pammiers ; et fut droitement à l’entrée d’août que on doit recueillir les biens aux champs et que les raisins mûrissent, et par celle saison il en y avoit grand’abondance au pays dessus dit. Messire Jean d’Ermignac et ses gens se logèrent adonc devant la ville et le chastel de Savredun, â une petite lieue de la cité de Pammiers, et là livrèrent-ils assaut ; et mandèrent à ceux de Pammiers que si ils ne rachetoient leurs blés et leurs vignes, ils arderoient et détruiroient tout. Ceux de Pammiers se doutèrent, car le comte, leur sire, leur étoit trop loin ; il étoit en Berne ; et eurent conseil d’eux racheter, et se rachetèrent à six mille francs ; mais ils prindrent quinze jours de terme, lesquels on leur donna. Le comte de Foix fut informé de toute celle affaire et comme on rançonnoit ses sujets. Si se hâta au plus qu’il put, et manda gens de tous côtés, tant que il en eut assez, et s’en vint au férir d’éperons devers Pammiers, et passa au Pas de la Garde à celle porte coulisse de fer et la conquit, et s’en vint bouter en la cité de Pammiers. Et gens lui venoient de tous lez ; et avoit adonc largement douze cens lances, et fût venu sans faute combattre messire Jean d’Ermignac et ses gens si ils l’eussent attendu ; mais ils se partirent et se retrairent, et rentrèrent en la comté de Comminges, et point n’emportèrent l’argent de ceux de Pammiers, car ils n’eurent pas loisir de l’attendre. Mais pour ce ne le quitta pas le comte de Foix à ses gens, mais dit que il l’auroit et qu’il l’avoit gagné, quand il étoit venu tenir la journée et bouter hors du pays ses ennemis. Si l’eut et en paya ses gens d’armes, et là se tint tant que les besognes des bonnes gens furent faites et que ils eurent recueilli et vendangé, et le leur mis assur. » — « Par ma foi, dis-je au chevalier, je vous ai ouï volontiers. »

En ce moment nous passâmes de-lez un chastel qui s’appelle la Bretice, et puis un autre chastel que ou dit Bacelles, et tout en la comté de Comminges. En chevauchant je regardai et vis par delà la rivière un très bel chastel et grand et bonne ville par apparence. Je demandai au chevalier comment ce chastel étoit nommé. Il me dit que on l’appeloit Montespain : « Et est à un cousin du comte de Foix qui porte les vaches en armoiries, que on dit messire Roger d’Espaigne. C’est un grand baron et grand terrien en ce pays-ci et en Toulousain et est pour le présent sénéchal de Carcassonne. » Lors demandois-je à messire Espaing de Lyon. « Et cil messire Roger d’Espaigne, quelle chose étoit-il à messire Charles d’Espaigne qui fut connétable de France ? » Donc me répondit le chevalier, et me dit : « Ce n’est point de ces Espaignols là ; car cil messire Louis d’Espaigne et ce messire Charles de qui vous parlez vinrent du