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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

bon, le sire de Coussant, le sire de la Pierre, le sire de la Palice, le sire de Nence, messire Louis de la Croise, le sire de la Frète et plusieurs autres. Et vous dis que ce fut une bataille très dure et un rencontre très félon. Et nous tînmes et nous défendîmes ce que nous pûmes ; et tant que de l’un côté et de l’autre en y ot plusieurs occis et navrés ; et à ce que ils montroient, ils nous avoient plus chers à prendre vifs que morts.

« Finablement là fûmes nous tous pris, Carsuelle, Lamit, Naudon, le Bourg de Pierregort, Espiote, le Bourg de l’Esparre, Augerot de Lamougis, Philippe de Roe, Pierre de Courton, l’Esperat de Pamiers, le Bourg d’Armesen et tant que tous le capitaines de là environ. Si fûmes menés au chastel de Sancerre et là conjouis à grand’joie ; ni oncques au royaume de France les compagnons tenant route n’y perdirent si grossement comme ils firent là. Toutefois Guichart Albregon perdit son prisonnier, car cil à qui il l’avoit enchargé, par sa grand’mauvaiseté et négligence, le laissa tant saigner que il en mourut. Ainsi fina messire Jean Aymery.

« Par celle prise et celle déconfiture qui fut dessous Sancerre fut rendue aux François la Charité sur Loire et toutes les garnisons de là environ, parmi ce que nous fûmes tous quittes de nos prisons, et eûmes sauf conduit de partir et de passer hors du royaume de France et de aller quelque part que il nous plairoit. Et nous avint si bien à point en celle saison que messire Bertrand de Claiquin, le sire de Beaujeu, messire Arnoul d’Andrehen et le comte de la Marche emprindrent le voyage d’Espaigne[1] pour aider au roi Henry contre son frère Dam Piètre. Mais avant, je fus en Bretagne à la besogne d’Auroy et me mis dessous messire Hue de Cavrelée, et là me recouvrai, car la journée fut pour nous ; et y eus de bons prisonniers qui me valurent deux mille francs. Si m’en allai à dix lances avecques messire Hue de Cavrelée en Espaigne, et boutâmes hors le roi Dam Piètre. Et depuis, quand les alliances furent du roi Piètre et du prince de Galles et que il le voult remettre en Castille, si comme il fit, je y fus, et toudis en la compagnie de messire Hue de Cavrelée ; et tantôt après retournai en Aquitaine avecques lui.

« Or se renouvela la guerre du roi de France et du prince ; si eûmes, et avons eu, moult à faire, car on nous fit trop forte guerre ; par laquelle guerre sont morts grand’foison de capitaines anglois et gascons, et encore, Dieu merci, je suis demeuré en vie. Premier, messire Robert Briquet mourut en Orléanois entre le pays de Blois et la terre au duc d’Orléans, en une place qu’on dit Olivet ; et là le rua jus, lui et toute sa route, un écuyer de Hainaut, vaillant homme d’armes durement et bon capitaine, qui s’appeloit Alart de d’Oustiennes ; et s’armoit de Barbençon, car il en étoit de lignage. Cil Alart étoit pour le temps gouverneur de Blois et gardien de tout le pays de par les seigneurs Louis, Jean et Guy. Si lui chéy en main de rencontrer à Olivet messire Robert Briquet et messire Robert Thein ; il les combattit si vaillamment qu’il les rua jus ; et furent morts sur la place ; et aussi furent toutes leurs gens, ni oncques n’y ot pris homme à rançon.

« Depuis advînt que, à la bataille de Merck en Xaintonge, Carsuelle fut occis de messire Bertran de Claiquin qui le rua jus ; et bien sept cents Anglois y furent tous morts. À celle besogne et à Sainte-Sévère furent occis aussi des capitaines anglois, Richart Gilles et Richart Helme. Je en sais petit, excepté moi, que ils n’aient été tous occis sur les champs. Si ai-je toujours tenu frontière et fait guerre pour le roi d’Angleterre ; car mon héritage siéd et gît en Bordelois. J’ai aucune fois été rué jus, tant que je n’avois sur quoi monter ; à l’autre fois riche assez, ainsi que les bonnes fortunes venoient. Et fûmes un temps compagnons d’armes, moi et Raymonnet de l’Espée, et tînmes en Toulousain, sur les frontières de Bigorre, le chastel de Mauvoisin, le chastel de Trigalet et le chastel Nentilleux qui nous portèrent grand’profit pour lors. Et puis nous en vint ôter le duc d’Anjou par sa puissance ; et aussi fut Raymonnet de l’Espée pris, mais il se tourna François, et je demeurai bon Anglois et je serai tant comme je vivrai.

« Voir est que quand je eus perdu le chastel de Trigalet, et je fus conduit au chastel Tuillier, et le duc d’Anjou se fut retrait en France, je m’avisai encore que je ferois quelque chose où je aurois profit, ou je demeurerois en la peine. Si envoyai aviser et épier la ville et le chastel de Thurit en Albigeois ; lequel chastel depuis m’a

  1. En 1369.