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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

ot de pleine venue grand assaut et dur ; et entrementes que on assailloit, le sire de Neufville envoya un héraut au châtel parler au souldich et savoir comment il leur étoit. Le héraut fit son message et rapporta que tous étoient en bon point, mais ils étoient si nus que ils n’avoient souliers ni chausses en pied. L’assaut de devant Saint-Léger dura bien trois heures que rien n’y conquirent les assaillans, mais en y eut de navrés assez. Adonc se logèrent les seigneurs et toutes leurs gens ; et fut leur entente que point de là ne partiroient si auroient conquis le fort de Saint-Léger. Et étoient trop courroucés que le sir de Montmore ni le seigneur de Montcontour ne le tenoient, et que dedans enclos ils n’étoient. Mais les seigneurs sagement partis s’en étoient, et les Bretons laissés y avoient.


CHAPITRE XXXIV.


Comment les Anglois recouvrèrent plusieurs forts châteaux sur les François au pays de Bordelois.


Quand ce vint à lendemain, le sire de Neufville et ces chevaliers d’Angleterre ordonnèrent que on iroit assaillir : si sonnèrent leurs trompettes d’assaut et départirent leurs livrées[1] et puis approchèrent le fort de Saint-Léger. Si commença l’assaut grand et merveilleusement. Ce fort de Saint-Léger siéd sur une roche que on ne peut approcher ; et au plus foible lez y a grands fossés qui ne sont mie à passer légèrement. Si se travailloient les assaillans grandement, et rien ne faisoient ; mais y en avoit des morts et des blessés grand’foison. Adonc cessa l’assaut, et fut avisé pour le mieux que on empliroit les fossés et puis auroient meilleur avantage d’assaillir. Si furent les fossés remplis à grand peine, et tellement que tout le monde y pouvoit passer. Quand les Bretons qui dedans le fort étoient virent ce, si se doutèrent plus que devant et raison fut, et entrèrent en traité. Ces seigneurs d’Angleterre qui avoient bien ailleurs à entendre, tant aux besognes du roi de Navarre, comme à délivrer plusieurs forts que Bretons tenoient en Bordelois, s’accordèrent légèrement à tous traités ; et fut le fort Saint-Léger rendu, parmi tant que ceux qui se tenoient s’en partiroient sans nul péril et sans nul dommage, eux et le leur, et seroient conduits là où ils vouloient aller. Ainsi demeura la forteresse de Saint-Léger Anglesche ; et vinrent les seigneurs au châtel de Mortaigne. Si trouvèrent le souldich de l’Estrade au parti que le héraut avoit dit. Si fut mis en arroy, ainsi comme à lui appartenoit, et le fort rafraîchi et ravitaillé et repourvu de nouvelles gens, et puis s’en retournèrent à Bordeaux par la rivière de Garonne le chemin que ils étoient venus.


CHAPITRE XXXV.


Comment le fort de Saint-Maubert fut rendu par les Bretons aux Anglois et Gascons qui y tenoient siége.


Quand ces chevaliers furent retournés à Bordeaux, entrementes que ils se rafraîchissoient, ils entendirent que à six lieux de là avoit Bretons qui tenoient un fort que on dit Saint-Maubert, en un pays que on appelle Medoch, lesquels Bretons grévoient malement le pays. Si firent charger leurs pourvéances grandes et belles sur la rivière de Garonne et toute leur artillerie ; et puis montèrent à cheval environ trois cents lances et s’en vinrent par terre jusques à Saint-Maubert. Là étoient des Gascons, avec messire Jean de Neufville, messire Archembault de Grailly, messire Pierre de Rosem, le sire de Duras et Thomas de Courton. Quand ces barons et leurs routes furent venus devant Saint-Maubert, ils se logèrent et tantôt allèrent assaillir ; et y eut de première venue grand assaut et dur ; car les Bretons qui Saint-Maubert tenoient étoient tous gens de fait et de grand’volonté ; et avoient un capitaine breton, un écuyer alosé et usé d’armes qui s’appeloit Virelion, auquel ils se rallioient et par lequel conseil ils usoient. Ce premier assaut ne gréva néant les Bretons. Adonc se retrairent les Anglois et Gascons en leur logis ; et à lendemain ils firent dresser leurs engins devant le fort, qui jetoient pierres et mangonneaux[2], pour effondrer les toits de la tour où ils se tenoient. Le tiers jour que ils furent là venus, ils ordonnèrent un assaut ; et disoîent que telles ribaudailles que ces Bretons étoient ne leur devoient point longuement tenir ni durer : là ot grand assaut et dur et maint homme mort, ni oncques gens ne se défendirent si vaillamment que ces Bretons faisoient. Toutefois ils regardèrent finablement que

  1. Soldats à leurs gages.
  2. À la fois la machine qui lance et la chose lancée.