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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

d’envoyer en Angleterre, devers le duc de Lancastre, dont nous pensons à être aidés et confortés, et que ce nous est la voie la plus profitable pour donner doute et crainte à nos ennemis. Si regardons et avisons en notre royaume hommes sages et notables qui puissent faire ce message, et tellement informer le duc de Lancastre et son conseil que il vienne en ce pays de grand’volonté, et fort assez pour résister à nos ennemis, avecques l’aide que il aura de nous ; car nous devons bien croire et supposer que le roi de Castille se fortifiera grandement du roi de France et des François, car ils ne se savent où employer. Ils ont trieuves aux Anglois jusques à la Saint-Jean-Baptiste, et les Anglois à eux ; et encore ont les François bonne paix et ferme aux Flamands, qui moult les ont embesognés et occupés par plusieurs années. »

Là fut la parole du comte de Novaire acceptée ; et fut dit qu’il parloit bien et à point, et que on feroit ainsi. Lors furent nommés, par délibération de conseil et arrêt, que le grand maître de Saint-Jacques, du royaume de Portingal, et Laurentien Fougasse[1], un moult sage et discret escuyer, et qui bien et bel savoit parler françois, iroient en ce message en Angleterre ; car, à l’avis du conseil du roi de Portingal, on n’y pouvoit envoyer pour le présent gens qui point mieux sauroient faire la besogne. Si furent lettres escriptes et dictées bien et discrètement en bon françois et en latin aussi, lesquelles se devoient adresser au roi d’Angleterre et au duc de Lancastre et à ses frères, les comtes de Cantebruge et de Bouquinghen ; et quand ces lettres furent escriptes et grossoyées en latin et en françois, elles furent lues devant le roi et son conseil ; si plurent grandement ; et lors furent-elles scellées et puis délivrées aux dessus dits, le grand maître de Saint-Jacques et Laurentien Fougasse, qui se chargèrent entr’eux deux de les porter en Angleterre, au plaisir de Dieu, mais que ils pussent passer sauvement les dangers et périls de mer, les fortunes et les rencontres des ennemis et des robeurs, car otretant bien a robeurs en mer et plus que en terre. Si eurent une nef, que on appelle Lin, qui va de tous vents et plus sûrement que nulle autre. Si prindrent un jour congé du roi et à l’archevêque de Bragues et à l’évêque de Connimbres, et au grand conseil de Portingal, et puis vinrent au Port, et entrèrent au vaissel et eskipèrent en mer et singlèrent à pouvoir vers le royaume d’Angleterre ; et furent trois jours en mer absens de toute terre, et ne véoient que ciel et eau, et au quart jour ils virent Cornouaille.

Tant exploitèrent les dessus dits, par l’exploit de Dieu et du bon vent, et par les marées que leurs mariniers savoient prendre à point, et tant côtoyèrent Cornouaille et les bandes d’Angleterre, que ils arrivèrent sauvement et sans péril au hâvre de Hantonne et là ancrèrent. Si issirent hors de leur vaissel et s’en allèrent rafreschir en la ville. Là furent bien enquis et examinés du baillif de Hantonne et des gardes de la mer et du hâvre, de quel pays ils étoient, ni de qui ils se rendoient, ni quel part ils alloient. Ils répondirent à toutes ces demandes, et distrent que ils étoient du royaume de Portingal, et là envoyés de par ledit roi et son conseil. À ces paroles furent-ils les bien-venus.

Quand les dessus nommés messagers se furent reposés et rafreschis à Hantonne un jour, et ils eurent pourvus chevaux pour eux et pour leurs gens, et conduiseurs aussi qui les mèneroient Vers Londres, car ils ne connoissoient le pays ni les chemins, ils se départirent de Hantonne, et exploitèrent tant que ils vinrent à Londres. Si descendirent en Grecerche[2], à l’hostel au Faucon, sus Thomelin de Wincestre, et renvoyèrent, par les gardes qui amenés les avoient, leurs chevaux arrière.

Si bien leur chéy que le roi d’Angleterre et tous ses oncles étoient à Londres ou à Wesmoustier, dont ils furent moult réjouis ; et vinrent à Londres aussi que à heure de tierce. Si y dînèrent ; et après dîner ils s’ordonnèrent et prindrent les lettres qui s’adressoient au duc de Lancastre et à la duchesse, et s’en allèrent devers eux.

Quand le duc et la duchesse sçurent qui ils étoient, si en furent grandement réjouis, car ils désiroient à ouïr nouvelles de Portingal : on

    seul des dictionnaires biographiques imprimés en France, en Allemagne ou en Angleterre.

  1. Rymer (années 1384, 1385, 1386) cite plusieurs actes relatifs à l’envoi de Ferdinand, grand maître de Saint-Jacques, et Laurent-Jean Fogaça, chancelier de Portugal, comme ambassadeurs en Angleterre.
  2. Peut-être Grace-Church.