Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/481

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1385]
475
LIVRE III.

et le second et le tiers en la cité de Connimbres. Et là fit le roi renouveler tous hommages aux comtes, barons, chevaliers et escuyers et ceux qui fiefs tenoient de lui. Et là jura-t-il à tenir le royaume en droit et en justice et garder toutes juridictions. Et ils lui jurèrent que pour roi à toujours, et ses hoirs qui de lui vendroient, fussent mâles ou femelles, ils le tiendroient ; ni pour mourir ne le relinquiroient. Ainsi alla du couronnement du roi Jean de Portingal que je vous conte.

« Quand le roi de Castille sçut les nouvelles que les Portingalois, et par espécial les communautés du pays, avoient couronné à roi le maître de Vis et lui avoient juré foi et hommage, si fut plus pensif que devant ; car il ne cuidoit pas que les choses dussent ainsi aller, et que les Portingalois se dussent avancer sitôt de le couronner à roi, pour la cause de ce que il avoit avecques lui grand’foison de nobles du royaume de Portingal. Si dit : « Je vois bien que il me conviendra de fait et de force de conquérir ce qui est mien, si je le vueil ravoir ; jamais n’aura paix entre Castille et Portingal jusques à ce que Portingalois aient amendé ce que ils ont fait. »

« Après ce que le roi de Portingal fut couronné, il s’en vint à Lussebonne et là se tint ; et entendit grandement à mettre à point les besognes de son royaume, pour acquérir la grâce et amour de son peuple. Et départit ses chevaliers et gens d’armes, et les envoya en garnison parmi ses villes et ses chastels sur les frontières du royaume d’Espaigne, car le roi se tenoit à Séville. Si fut envoyé du roi de Portingal en garnison à Trencouse messire Jean Ferrant Percock, un moult appert et vaillant chevalier et de haute emprise ; avecques lui messire Martin Vas de Coigne[1] et son frère messire Guillaume Vas de Coigne, deux moult apperts chevaliers ; et avoient dessous eux deux cents lances de bonnes gens et tous bien montés.

« D’autre part fut envoyé au chastel de Leire, vers Juberot, messire Jean Radigos Perrière[2] atout cinquante lances ; en la cité de Valence en Portingal fut envoyé de par le roi messire Jean Gomes de Salves[3], à l’encontre de la forte ville de Tuye qui siéd près de là, laquelle s’étoit tournée et rendue au roi de Castille quand il vint devant Lussebonne ; et en Tuye avoit de François et de Castelloings grand’garnison de gens d’armes.

« En la cité de Serpes fut envoyé messire Mondech Radigo, un moult appert chevalier[4] atout cinquante lances. Au Port, ni à Evres, ni à Connimbres ne mit-on nulles gens d’armes, car le roi sentoit les hommes des villes dessus dites bons et loyaux envers lui et forts assez.

« Ainsi que je vous dis, monseigneur, en l’an que le roi fut couronné, furent pourvues ces garnisons de bonnes gens d’armes. Si vous dis que souvent y avoit des rencontres, des escarmouches et des assauts les uns sur les autres. Une fois gagnoient nos gens, autrefois perdoient, ainsi que l’aventure d’armes avoient ; mais par espécial il y ot une rencontre de ceux de la garnison de Trencouse sur les Castelloings moult fort et moult bel. » — « Ha ! Laurentien, dit le duc de Lancastre, ne vous en passez point briévement que je ne sache et oye comment il en advint, et par quelle manière ils se trouvèrent sur les champs. » — « Monseigneur, répondit l’écuyer[5], c’est l’intention de moi que je le vous die, et l’ordonnance du fait, si comme il en alla ; car à ce rencontre je fus présent, et portai ce jour la bannière de messire Jean Ferrant Perceck par qui la besogne commença, car il étoit pour lors capitaine de Trencouse.

« Vous devez savoir, monseigneur, que le roi de Castille, sur les frontières et bandes de Portingal avoit pourvu de gens d’armes ses garnisons ; lesquels à la fois, pour nous contrarier et porter dommage, se cueilloient ensemble et mettoient sur les champs : une fois perdoient, et l’autre ils gagnoient, ainsi que les choses se portent en armes. Or advint une fois que jusques à sept capitaines d’Espaignols, tous beaux chevaliers de parage et bons hommes d’armes, s’assemblèrent ensemble ; et se trouvèrent bien trois cents lances, tous bien montés et en grand’volonté de nous porter dommage ; et bien le montrèrent, car ils entrèrent en Portingal et y levèrent grand’proie et grand pillage et grand’foison

  1. Vasco Martins da Cunha avait pour fils Gil Vasques, Lopo Vasques et Vasco Martins. Lopo Vasques est celui qu’il a appelé Le Pouvasse.
  2. Joao Rodriguez Pereira.
  3. Joao Gomez de Silva, fils de Gonçalo Gomez de Silva.
  4. Il était fils de Gonçalo Mendez Vasconcellos.
  5. Il est toujours question de Lourenço Anes Fogaça, nommé grand chancelier du royaume, pendant qu’il était en ambassade en Angleterre.