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LIVRE II.

roles ne fut-il avecques les Anglois que trois jours, et prit congé, et se partit de Bordeaux ; et se mit au retour ; et prit le chemin de la marine, car il y avoit environ Bayonne et la cité de Dax en Gascogne plusieurs forts que Bretons tenoient ; et tant fit le roi de Navarre que il vint en la ville de Saint-Jean du Pied des Ports, et là se tint.

Entrementes que le roi de Navarre fit son voyage à Bordeaux et séjourna là, et que depuis il retourna en son pays, Jean de Castille, ains-né fils du roi de Castille Henri, qui chef se faisoit de celle guerre, et le connétable du royaume de Castille avecques lui qui s’appeloit Dam Pierre de Morich[1] tenoient le siége devant la bonne ville et cité de Pampelune et grands gens dessous eux. En leur compagnie étoient le comte Damp Alphons[2], le comte de Medine, le comte de Marions[3], le comte de Ribedé[4], Pierre Ferrant de Fallesque[5] et Pierre Goussart de Mondesque[6] et plusieurs autres barons et chevaliers de Castille et leurs gens ; et avoient ces Espaignols, en venant devant Pampelune, pris et ars la ville de Loring et la cité de Viane de-lez le Groin ; et n’y avoit seigneur nul en Navarre qui s’osât montrer contre eux, mais se tenoit chacun en son fort et dedans les montagnes. Et tout ce savoit bien le roi de Navarre ; car toujours y avoit messagers allans et venans ; mais on n’y pouvoit remédier sans la puissance et confort des Anglois.

Le sire de Neufville, qui se tenoit à Bordeaux et qui là étoit envoyé de par le roi d’Angleterre et son conseil, ainsi que vous savez, pouvoit bien savoir des nouvelles des grandes alliances que le roi son seigneur et le roi de Navarre avoient ensemble ; et avoit promis au roi de Navarre que ils les accompliroit à son loyal pouvoir ; si pensa sus et appela messire Thomas Trivet, un moult vaillant chevalier, et lui dit : « Messire Thomas, vous savez comment nous sommes envoyés par deçà pour regarder aux frontières du pays et bouter hors nos ennemis, et pour conforter le roi de Navarre ; et jà a ci été et nous a remontré le grand besoin qu’il a : vous fûtes présent quand je lui eus en convenant que il seroit servi et aidé ; il convient que il le soit ; autrement nous y aurions blâme. Si que, cher ami et compagnon, je vous ordonne à être chef de nos gens en cette guerre ; et veuil que vous y allez atout cinq cents lances et mille archers ; et je demeurrai en la marche de Bordeaux, pourtant que j’en suis sénéchal et regard de par le roi d’Angleterre, et entendrai aux besognes qui y demeurent, car encore n’est pas le pays bien nettoyé ni délivré de nos ennemis. » — « Sire, répondit messire Thomas, vous me faites plus de honneur que je vaille, et je obéirai à vous, car c’est raison ; et me acquitterai de ce voyage à mon loyal pouvoir. » — « Messire Thomas, répondit le sire de Neufville, de cela suis-je tout conforté. »


CHAPITRE XXXIX.


Comment les Anglois prirent plusieurs forts en Gascogne, et comment les Espaignols, sachant la venue des Anglois, levèrent leur siége de Pampelune.


Depuis ne demeura-t-il guères de temps que messire Thomas Trivet ordonna toutes ses besognes et se partit de la cité de Bordeaux à toute sa charge de gens d’armes et d’archers, et prit le chemin de Dax en Gascogne. En sa compagnie étoient messire Guillaume Cendrine, messire Thomas Abreton, messire Jean Afuselée, messire Henry Paule, messire Guillaume Croquel, messire Louis Malin, messire Thomas Foucques, messire Robert Haston, Andrieu Hauderac et Mouret de

  1. D. Pedro Manrique, adelantado mayor du royaume de Castille. Les imprimés disent Monich au lieu de Morich, ce qui pourrait désigner D. Pero Moniz, grand maître de l’ordre de Calatrava. Mais cette leçon est mauvaise, les historiens contemporains désignant Manrique comme chargé par l’infant de Castille de cette expédition.
  2. D. Alphonse, marquis de Villena et comte de Denia et de Ribargoza, était fils de l’infant D. Pedro et petit-fils du roi Jacques d’Arragon. Il relevait du roi Henri de Castille pour le marquisat de Villena, que celui-ci lui avait donné pour être entré à son aide en Castille avec les Compagnies, quand il se fit proclamer roi à Calahorra.
  3. Froissart n’ayant pas donné les prénoms de ce comte, il m’est fort difficile de le reconnaître parmi les nobles de la cour d’Henri. Je ne trouve que deux personnes auxquelles ce nom puisse s’appliquer ; l’une est le comte de Norogna, l’autre un fils du roi Henri que Salazar Mendoza appelle seigneur de Moron.
  4. Ribadeo.
  5. Pero Ferrandez de Velasco, grand chambellan du roi.
  6. Pero Gonzalez de Mendoza, grand majordome. L’orthographe de ces noms est évidemment telle que je la donne. On retrouve les mêmes Velasco et Mendoza, comme signataires au testament du roi Henri II, rapporté par Ayala, p. 121. Aucun des traducteurs ou éditeurs ne s’est donné la peine de chercher à rectifier ces noms. Les noms anglais seuls sont redressés par Gohnes.