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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

la gardoient. Là ot grand assaut et dur d’Anglois et d’archers, endementres que les gens d’armes se combattoient aux barrières ; et passèrent les Anglois un petit fossé que là y avoit, et vinrent au pied de la tour portans pics et hoyaux en leurs mains ; et commencèrent à piqueter et à piocher et à caver et à ôter pierres et affoiblir grandement la tour. Ceux qui étoient sus se défendoient vaillamment et hardiment de ce qu’ils avoient, et archers traioient à eux si ouniement que à peine ne s’osoit nul à montrer pour le trait, si il n’étoit trop fort armé de pavois. Là fouirent et houèrent et piquèrent Anglois tant que la moitié de la tour, par défaute de pied, quand ils lui avoient tollu miné et ôté le fondement, s’ouvrit et crevaça. Ceux qui dedans étoient et qui ouvrir et déjoindre la véoient, se trairent tous à un faix sur la plus saine partie, et tant que la moitié de la tour s’en alla à terre, et l’autre demeura et les compagnons dedans. Lors y ot grand’huyée des Anglois, quand ils les virent ainsi à découvert. À ces entrefaites il étoit sur le plus tard ; si sonnèrent les trompettes de retraite ; car pour ce jour ils disoient que ils en avoient fait assez. Si se retrairent, et au département les Anglois disoient aux Bretons : « Seigneurs, seigneurs, demeurez là celle nuit et faites bon guet, car demain nous vous venrons voir. Vous verrez bien de quelle part nous sauldrons, car il n’y rien au devant de vous qui vous fasse ombre ni encombrer. »

L’intention des Anglois étoit telle que le lendemain ils retourneroient à l’assaut à la bastide, et la conquerroient par force et les compagnons de dedans, car bien étoit en leur puissance : si passèrent la nuit tout aise, ils avoient bien de quoi.

On dit souvent, et voir est : bon l’auroient les penseurs, si n’étoient les contrepenseurs ; je le dis, pourtant que, si il y avoit dans l’ost des Anglois des gens soubtieux de la guerre, les Bretons, qui se tenoient en la bastide, étoient aussi pourvus assez de voir et connoître quelle chose leur pouvoit valoir et porter dommage. Ils connurent clairement qu’il les convenoit partir de là et traire, quelque part que ce fût, à sauveté, si ils ne vouloient être morts ou pris. Si eurent conseil de partir et de trousser ce que ils pourroient, et laisser la bastide. Si comme ils ordonnèrent pour le mieux, ils le firent ; et troussèrent tout, et montèrent sur leurs chevaux, et laissèrent la bastide, et se mirent aux champs, et prindrent le chemin de Hainebon, où il n’y a que quatre lieues de là. Ils ouvrèrent sagement de cela faire et de monter à cheval et partir ; car ils n’avoient garde que les Anglois les poursieuvissent, pourtant que ils n’avoient encore trait nuls chevaux hors de leurs nefs. Messire Jean de Malestroit et les chevaliers et écuyers qui avecques lui étoient vinrent celle nuit à Hainebon ; si se boutèrent dedans, et la trouvèrent toute ouverte et appareillée : là n’orent-ils garde des Anglois. Quand ce vint au matin, on sonna trompettes pour armer l’ost des Anglois, et eux traire à l’assaut ; et vouloient trop bien faire la besogne, mais nouvelles leur vinrent que les Bretons étoient partis et avoient laissé la bastide. Lors se repentirent les Anglois grandement de ce qu’ils n’avoient mis une embûche sus, par quoi ils ne eussent pas ainsi perdu leur proie. Si envoyèrent les seigneurs désemparer la bastide, et y boutèrent le feu dedans par varlets qui étoient taillés de cela faire. Ainsi furent délivrées par le duc de Lancastre les bastides de Brest ; et ce jour allèrent voir le duc et messire Jean de Hollande et aucuns des seigneurs, et non pas tous, le chastel de Brest ; et y menèrent les dames ; et y burent et mangèrent, et puis se retrairent à leurs logis ; et le lendemain, le tiers jour, on rafreschit les nefs d’eau douce, et au quart jour ils se retrairent dedans et se désancrèrent, et puis s’en partirent.

Le quart jour que ils avoient été logés sur les champs au dehors de Brest, ils avoient eu conseil ensemble, le duc, les seigneurs et les mariniers de Portingal qui y furent appelés, pour savoir quelle part ils se trairoient, ni quelle terre ni port ils prendroient, ou si ils iroient à Lussebonne ou au port de Portingal, ou si ils prendroient terre en Biscquaie ou à la Calongne. Si furent sur cel état les ducs et les seigneurs longuement en conseil ensemble ; et en fut demandé l’avis à Alphonse Vretat, maître des navires du roi de Portingal, lequel répondit et dit : « Mes seigneurs, pour ce suis-je envoyé à querre la vôtre aide et tramis en Angleterre par devers vous, que le roi de Portingal, monseigneur, vous escript que, en quelque part que vous arrivez en son pays, vous serez les bien venus, et il en