Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/512

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
506
[1386]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

par ma foi ! Or allez et retournez tantôt. »

Sur cel état que vous oez recorder, se retournèrent ces quatre hommes ; et vinrent à leurs gens, et dirent qu’ils avoient parlé à messire Thomas, le maréchal de l’ost, lequel, parmi le traité que eux leur avoient fait dire et faire, il avoit la ville assurée de toutes choses, hormis de vivres. Ils répondirent : « Dieu y ait part ! c’est trop bien fait. » Donc délivrèrent-ils la porte qui trop fort étoit encombrée de bancs et de tonneaux pleins de sablon, de pierres et de terre ; et la tinrent tout ouverte arrière, et vinrent à la barrière ; et tenoient les clefs en leurs mains. Là vint le maréchal qui descendit à pied ; et tous se mirent à genoux devant lui et lui présentèrent les clefs, en disant : « Sire, vous êtes ici envoyé, bien le savons, de par monseigneur de Lancastre et madame. Si vous rendons et baillons les clefs de la ville, et vous en mettons en possession par la manière et condition que nos hommes ont rapporté. » — « Ainsi le prends-je ; » ce répondit messire Thomas.

Donc entrèrent-ils abondamment dedans la ville sans contredit ; et se logèrent toutes gens les uns çà et les autres là au mieux que ils pouvoient. Et se tint là le maréchal tout ce jour ; et avant son département il dit à messire Maubruin de Linière : « Maubruin, je vous délivre celle ville pour vous et pour vos gens, vous y aurez une belle garnison. » — « Par Saint George ! sire, dit-il, vous dites voir, et je la prends, car la garnison me plaît moult bien. » Ainsi demeura Maubruin de Linière en garnison en la ville de Ruelles en Galice, et avoit dessous lui soixante lances et cent archers ; et le maréchal retourna devers le duc et la duchesse à Saint-Jacques, où ils se tenoient communément.

CHAPITRE XXXIX.

Comment messire Thomas Moreaux, maréchal de l’ost du duc de Lancastre, se départit de la ville de Saint-Jacques en Galice et sa route, et vint prendre Ville-Lopez en Galice, laquelle par composition se rendit au duc de Lancastre, et des ambassadeurs que le duc envoya au roi de Portingal.


Assez tôt après que il fut retourné de Ruelles en Galice, il remit sus environ trois cens lances et six cens archers et se départit de son logis, accompagné ainsi que je vous dis ; et chevaucha en Galice une grande journée en sus de Saint-Jacques, et s’en vint devant une ville qui s’appelle Ville-Lopez, qui n’étoit aussi gardée que de vilains qui dedans demouroient. Quand le maréchal du duc fut venu là, il regarda si la ville étoit prenable par assaut ; et quand il l’eut bien avisée, lui et ses compagnons, ils dirent que ouil. Donc se mirent-ils tous à pied, et firent par leurs varlets mener leurs chevaux arrière, et se ordonnèrent en quatre parties et donnèrent leurs livrées, ainsi que gens d’armes qui se comnoissent en tel métier savent faire. Là prit le maréchal la première pour lui ; la seconde il bailla à messire Yon Fits-Varin, la tierce à messire Jean de Buvrelé, la quarte à messire Jean d’Aubrecicourt. Et avoient chacun de ces quatre dessous lui, tant que pour cel assaut, quatre vingt hommes d’armes et sept vingt archers. Lors approchèrent-ils la ville et se mirent ens ès fossés, et avalèrent tout bellement, car il n’y avoit point d’aigue. Et puis commencèrent à monter et à ramper contremont bien targés et paveschés[1] ; et archers étoient demeurés sur le dos des fossés, qui tiroient à pouvoir et si fort que à peine osoit nul apparoir nonobstant trait et tout. Si se défendirent ces vilains âprement et de grand’manière, car il en y avoit grand’foison. Aussi les uns lançoient et jetoient dardes enpennées et enferrées de longs fers, si fort et si roide que, qui en étoit féru au plein, il convenoit que il fût trop fort armé si il n’étoit mort on blessé mallement. Toutefois chevaliers et escuyers qui se désiroient à avancer vinrent jusques aux pieds des murs et commencèrent à haver et à piquer de pics et de hoyaux que ils avoient apportés. Et quoique on jetât et reversât sur eux pierres et cailloux sur leurs pavois et sur leurs bassinets, si assailloient-ils toujours et y faisoient plusieurs appertises d’armes.

Là furent bons et bien assaillans deux escuyers de Hainaut, qui là étoient, Thierry et Guillaume de Soumain ; et y firent plusieurs belles appertises d’armes. Et firent un grand pertuis au mur avecques leurs aidans ; et se combattoient main à main à ceux de dedans, et gagnèrent ces deux frères jusques à sept dardes que on lançoit par le pertuis sur eux, et leur ôtèrent hors des poings et des mains ; et étoient ces deux escuyers dessous le pennon messire Yon Fits-Varin. D’autre part, messire Jean d’Aubrecicourt ne se feindoit pas, mais montroit bien chère et ordonnance de vaillant chevalier ; et se tenoit au pied du mur, son pennon d’ermines à deux hamèdes de gueu-

  1. Couverts de larges et de pavois.