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LIVRE III.

matin l’assaut. Ceux de Vigho ne firent compte de ces menaces, et dirent que autrefois les avoit-on assaillis, mais on n’y avoit rien conquesté. Quand la réponse fut faite au maréchal, si dit : « Et par Saint George ! ils seront assaillis de grand’façon ; les vilains sont-ils si orgueilleux que ils ont ainsi répondu. » Ils passèrent la nuit et se tinrent tout aises de ce que ils avoient. Des pourvéances avoient-ils assez qui les suivoient. Et se logèrent en une belle prée, au long d’une petite rivière qui venoit d’amont de fontaines entre montagnes. À lendemain, à soleil levant, ils se délogèrent et se mirent au chemin. Jà étoit tierce quand ils vinrent devant la ville. Ils mirent pied à terre et burent un coup et puis se ordonnèrent pour assaillir, et ceux de dedans aussi pour défendre la ville qui n’est pas grande, mais elle est forte assez. Et crois bien que si il y eût une garnison bonnes gens d’armes, chevaliers et écuyers, qui par avis l’eussent su garder, les Anglois ne l’eussent point eue si légèrement comme ils l’orent ; car sitôt que ceux de Vigho se virent assaillis et ils sentirent les sajettes de ces archers d’Angleterre et ils virent que plusieurs des leurs étoient navrés et blessés, car ils étoient mal armés, et ne savoient d’où les coups venoient, si s’ébahirent d’eux-mêmes et dirent : « Pourquoi nous faisons-nous occire ni meshaigner pour le roi de Castille ; otretant nous vaut à seigneur le duc de Lancastre, quand il a pour mouiller la fille qui fut du roi Dam Piètre, que le fils du roi Henry. Bien savons et bien le véons que, si nous sommes pris par force, nous serons tous morts et le nôtre sera tout perdu ; et si ne véons confort de nul côté. Il y a environ un mois que nous envoyâmes devers le roi de Castille à Burges en Espaigne, et fut remontré à son conseil le péril où nous étions ; et bien savions que nous aurions les Anglois, si comme nous avons ores ; le roi en parla à ces chevaliers de France qui sont en Espaigne de-lez lui ; mais ils n’ont point eu conseil que nul vînt par deçà en garnison ni autant bien en tout le pays de Galice. À ce que le roi d’Espaigne montre, il a aussi cher que il soit perdu que gagné ; et répondit à nos gens qui là étoient envoyés ; « Allez et retournez, et faites du mieux que vous pourrez. « C’est bien donner à entendre que nous ne nous fassions pas occire ni prendre à force. »

À ces mots vinrent aucuns hommes de la ville à la porte, et montèrent haut en une fenêtre et firent signe que ils vouloient parler et traiter ; ils furent ouïs. Le maréchal vint là et demanda que ils vouloient. Ils répondirent et dirent ; « Maréchal, faites cesser l’assaut, nous nous rendrons à vous, au nom de monseigneur de Lancastre et de madame Constance, en la forme et manière comme les autres villes de Galice ont fait. Et si pourvéances voulez avoir de notre ville, vous en aurez courtoisement pour vous rafreschir ; mais à main armée nul n’y entrera. C’est le traité que nous voulons dire et faire. » Le maréchal fut conseillé de répondre, et dit : « Je vous accorde bien à tenir ce que vous demandez ; mais je vous ordonnerai un bon capitaine qui vous gardera et conseillera si il vous besogne. » Ils répondirent : « Encore le voulons-nous bien. » Si furent d’accord et cessa l’assaut, et se retrayrent toutes gens d’armes un petit en sus, et se allèrent désarmer dessous beaux oliviers qui là étoient ; mais le maréchal, messire Yon Fits-Varin, le sire de Talbot, messire Jean Bruvellé, le sire de Ponins, messire Jean d’Aubrecicourt et aucuns chevaliers entrèrent en la ville pour eux rafreschir ; et ceux qui étoient dessous les oliviers eurent pain, vin et autres pourvéances assez de la ville.

Après le rendage de la ville de Vigho en Galice, et que les seigneurs furent rafreschis tout à leur aise, et ils y trouvèrent bien de quoi, car elle siéd en gras pays, et que ils eurent ordonné un certain capitaine appelé Thomas Allery, un écuyer d’Angleterre, sage et vaillant homme, et douze archers avec lui, le maréchal et sa route s’en partirent et prirent le chemin en entrant au pays de Galice et costiant l’Espaigne et les montagnes de Castille, pour venir à une grande ville que on dit au pays Bayonne en la Mayole[1]. Quand il durent approcher à deux lieues près, ils se logèrent et se tinrent là celle nuit jusques à lendemain, que ils se délogèrent et vinrent par bonne ordonnance et arroi jusques assez près de la ville, et se mirent en deux batailles, et puis envoyèrent un héraut devant pour savoir que ceux de Bayonne diroient ni si ils viendroient à obéissance sans assaillir. Le héraut n’avoit pas plenté à aller jusques aux barrières ; et là trouva-t-il grand plenté de vilains moult mal armés et

  1. Bayona, petite ville de Galice, à trois lieues de Vigo.