Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1386]
529
LIVRE III.

roi à l’entrer à Londres moult regardé de ceux de la dite ville de Londres, et toutefois les bonnes gens lui firent fête et honneur. Il se trait à l’hôtel ; et puis, quand temps fut venu et heure, il alla devers le roi, qui lors étoit en la Riole, à un hôtel que on dit la Garde-Robe-la-Roine, et là se tenoit-il tout privément ; mais l’archevêque de Cantorbie et l’archevêque de Yorch et l’évêque de Vinchestre et beaucoup du conseil du roi se tenoient à Londres chacun en son hôtel ; car je vous dis que ceux de Londres étoient moult ébahis et entendoient fort à fortifier leur ville dessus la Tamise et ailleurs.

Quand la venue du roi d’Arménie fut sçue et publiée, si se trairent ces archevêques et ces évêques et ceux du conseil devers le roi, pour savoir et ouïr des nouvelles, et quelle chose le roi d’Arménie étoit venu faire ni querre en tel temps, quand on étoit si en tribouil en Angleterre. Quand le roi d’Arménie fut venu en la présence du roi, il l’inclina et le roi lui, et s’entracointèrent à ce commencement moult doucement de paroles. Après, le roi d’Arménie parla et entama son procès, sur l’état que il étoit issu de France, pour principalement voir le roi d’Angleterre que il n’avoit oncques vu, dont il étoit tout réjoui quand il étoit en sa présence, car il espéroit que tous biens en viendroient ; et montroit par ses paroles : que pour obvier à l’encontre de grand’pestillence qui apparoît à être et à venir en Angleterre, il étoit là venu, non que le roi de France et son conseil lui envoyassent, fors de soi-même ; et mettroit volontiers paix et accord ou trêves entre les deux rois et royaumes de France et d’Angleterre. Plusieurs paroles douces, courtoises et bien traitées, montra là le roi d’Arménie au roi d’Angleterre et à son conseil. Adonc lui répondit-on briévement, et lui fut dit ainsi : « Sire roi, vous soyez le bien venu en ce pays ; car le roi, notre seigneur, et nous aussi, vous y véons volontiers. Nous vous disons que le roi n’a pas ici tout son conseil ; il l’aura temprement, car il le mandera, et puis on vous fera réponse. »

Le roi d’Arménie se contenta de ce et prit congé, et retourna à son hôtel où il étoit logé. Dedans quatre jours après fut le roi conseillé, et crois bien que il avoit envoyé devers ses oncles ; mais ils ne furent pas présents à la réponse faire. Et le roi d’Angleterre alla au palais à Wesmoustier et là fut le conseil que il avoit pour lors, et fut le roi d’Arménie signifié de là aller, si comme il fit. Quand il fut venu en la présence du roi et des seigneurs, on fit seoir le roi d’Angleterre à son usage et puis le roi d’Arménie après et puis les prélats et ceux du conseil. Là lui fit-on recorder de rechef toutes les paroles, requêtes ou prières que il faisoit au roi d’Angleterre et à son conseil. Tantôt il les répliqua doucement et sagement toutes, en remontrant : comme sainte chrétienté étoit trop affoiblie par la destruction de la guerre de France et d’Angleterre, et que tous chevaliers et écuyers de ces deux royaumes n’entendoient à autre chose fors que toujours à être ou pour l’un ou pour l’autre ; parquoi l’empire de Constantinoble s’en perdoit et perdroit, où les gentilshommes de France et d’Angleterre avant la guerre se souloient traire pour trouver les armes ; et jà en avoit-il perdu son royaume ; pourquoi il prioit, pour Dieu et pour pitié, que on voulsist entendre à ce que un bon traité sur forme de paix se pût faire et entamer entre le roi de France et le roi d’Angleterre.

À ces paroles répondit l’archevêque de Cantorbie, car il en étoit chargé du roi et du conseil, très avant que on entrât en la chambre du conseil, et dit : « Sire roi d’Arménie, ce n’est pas la manière, ni oncques ne fut, de si grand’matière comme celle est du roi d’Angleterre et de son adversaire de France, que on venist le roi d’Angleterre prier en son pays à main armée. Si vous disons que vous ferez, si il vous plaît. Vous vous retrairez devers vos gens et les ferez tous retraire. Et quand chacun sera en son hôtel et que de vérité nous le pourrons savoir, retrayez-vous devers nous ; adonc volontiers nous entendrons à vous et à votre traité. » Ce fut la réponse que le roi d’Arménie eut ; mais il dîna ce jour avecques le roi d’Angleterre, et lui fut faite la greigneur honneur que on put. Et lui fit le roi d’Angleterre présenter de beaux dons d’or et d’argent ; mais il n’en voult nul prendre ni retenir[1], quoiqu’il en eût bon métier, fors un

  1. Froissart n’est pas d’accord ici avec les historiens anglais, car le moine d’Évesham, Walsingham et Hollinshed assurent tous au contraire que le roi d’Arménie s’était distingué dans l’ambassade de 1385, par sa cupidité, et que ce fut là la raison qui empêcha qu’on le reçût en 1386. Voici comment s’exprime le moine d’Évesham :

    Eodem tempore (1386) rex Armeniæ, qui dudum ex-