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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

seul annel qui bien valoit cinq cens francs.

Après ce dîner fait, qui bien fut bel et bon et bien servi, le roi d’Arménie prit congé, car il avoit sa réponse, et retourna à son hôtel, et à lendemain il se mit au chemin ; et fut en deux jours à Douvres et prit congé aux seigneurs qui là étoient, et entra en mer en une nef passagère et vint arriver à Calais et de là il vint à l’Escluse. Si parla au roi de France et à ses oncles, et leur remontra comment il avoit été en Angleterre et quelle réponse on lui avoit faite. Le roi et les seigneurs n’en firent compte et le renvoyèrent en France ; car telle étoit leur intention, que ils iroient en Angleterre si très tôt comme ils pourroient avoir bon vent et que le connétable seroit venu et le duc de Berry ; mais le vent leur étoit si contraire que jamais de ce vent ils n’eussent pris terre en Angleterre sus les frontières où ils vouloient arriver, et étoit le vent bon pour arriver en Escosse.

Or vint le duc de Berry, et ouït messe en l’église Notre-Dame, et prit là congé et donna à tous, que jamais ne retourneroit si auroit été en Angleterre ; mais il pensoit tout le contraire, ni il n’y avoit nul talent d’aller, car la saison étoit trop avalée et l’hiver trop avant. Tous les jours que il fut sur son chemin, il avoit lettres du roi et de monseigneur de Bourgogne qui le hâtoient ; et disoient ces lettres et ces messages que on n’attendoit autre que lui. Le duc de Berry chevauchoit toujours avant, mais c’étoit à petites journées.

Or se départit le connétable de France de Lautriguier, une cité séant sur mer en Bretagne, atout grand’charge de gens d’armes et de belles pourvéances ; et étoient en somme soixante et douze vaisseaux tous chargés. En la compagnie du connétable étoient les nefs qui menoient la ville ouvrée et charpentée de bois, pour asseoir et mettre sur terre quand on seroit arrivé en Angleterre. Le connétable et ses gens orent assez bon vent de commencement ; mais quand ils approchèrent Angleterre, il leur fut trop grand et trop dur ; et plus cheminoient avant et plus s’efforçoit. Et advint que à l’encontre de Mergate, sur l’embouchure de la Tamise, le vent leur fut si grand que, voulsissent ou non les maronniers, leurs nefs furent toutes éparses, et n’en y avoit pas vingt voiles ensemble ; et en bouta le vent en la Tamise aucunes nefs qui furent prises des Anglois ; et par espécial il en y ot une ou deux ou trois parties de celle ville et les maîtres qui charpentée l’avoient étoient. Tout fut amené par la Tamise à Londres ; et en eut le roi grand’joie, et aussi eurent ceux de Londres. Encore des nefs du connétable en y eut sept qui cheminèrent aval le vent, voulsissent ou non, chargées de pourvéances, qui furent péries en Zélande ; mais le connétable et les seigneurs à grand’peine et à grand péril vinrent à l’Escluse.

De la venue du connétable et des barons fut grandement réjoui le roi de France, et lui dit le roi si très tôt comme il vint : « Connétable, que dites-vous ? Quand partirons-nous ? Certes, j’ai très grand désir de voir Angleterre, je vous prie que vous avanciez votre besogne et nous mettons en mer hâtivement. Véez ci mon oncle de Berry qui sera devers nous dedans deux jours ; il est à Lille. » — « Sire, répondit le connétable, nous ne nous pouvons partir si aurons vent pour nous ; il a tant venté ce vent de sust qui nous est tout contraire que les maronniers disent que ils ne le virent oncques tant venter en un tenant que il a fait depuis deux mois. » — « Connétable, dit le roi, par ma foi, j’ai été en mon vaissel ; et me plaisent bien grandement les affaires de la mer ; et crois que je serai bon maronnier, car la mer ne m’a point fait de mal. » — « Et en nom Dieu ! dit le connétable, et ce elle a fait à moi ; car nous avons été près tous péris en venant de Bretagne en çà. »

Là voult le roi savoir comment ni par quelle manière, et il lui recorda. « Par fortune, sire, et par grands vents qui nous survinrent sur les bandes d’Angleterre ; et avons perdu de nos gens et de nos vaisseaux, dont il me déplaît très grandement, si amender le pouvois, mais je n’en aurai autre chose pour le présent. » Ainsi le roi de France et le connétable se devisoient de paroles, et toujours alloit le temps avant ; et appro-

    pertus fuerat regis liberalitatem et procerum, mittit pro conductu, velut adventus ejus causa foret amor pacis reformandæ inter regna Angliæ et Franciæ, quorum unum jam paratum erat ad aliud invadendum ; sed re verâ plus desideravit pecuniam quàm pacem, plus dilexit dona quàm plebem, plus aurum regis quàm regem. Cujus adventus licet rex consentiret, proceres tamen librantes, quod esset illusor, responderunt regi se nolle tractare cum illo ; sicque impeditus est ejus adventus, qui sicut nec primo, nec item secundo Angliæ profuisset.