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LIVRE III.

hors, faites que ils soient tous morts ou pris ; nous nous en voulons délivrer et tout le pays. Ils répondirent : « Volontiers. »

Messire Raymond manda à ces compagnons que ils se missent à cheval et vinssent courir une matinée devant Parpegnant pour ébahir les vilains de la ville, autrement on ne pouvoit traiter à eux que ils payassent rien. Et ceux qui furent tous réjouis de ces nouvelles et qui cuidèrent que on leur dît vérité, s’armèrent le jour que l’embûche étoit ordonnée ; et montèrent tous à cheval, et partirent de leurs garnisons, et s’en vinrent chevauchant vers Parpegnant, en faisant leur montre, et vinrent courir jusques aux barrières. Et quand ils eurent tout ce fait, ils se mirent au retour et s’en cuidoient r’aller tout paisiblement ; mais, ainsi que sur la moitié du chemin ils furent raconsuivis et rencontrés et de Naudon Seguin et de sa route, où bien avoit cinq cens lances qui tantôt se férirent en eux. Ils virent bien que ils étoient déçus et attrapés, si se mirent à défense et se combattirent assez bien, ce que durer purent ; mais ce ne fut pas longuement, car entr’eux il y avoit grand’foison de pillards et de gens mal armés ; si furent tantôt déconfits. Là furent morts Geoffroy Chasteiller, Hainge de Sorge, Guiot Maresque, Jean Guios et grand plenté d’autres ; et fut pris Pierre de Mont-Faulcon, Amblarden de Saint-Just, et bien quarante, et amenés à Parpegnant. Et entretant que on les menoit parmi les rues, ces gens de Parpegnant issoient hors de leurs maisons et les huyoient ainsi que on fait un loup. Si furent mis en un cep[1] Le Goulent et Pierre de Mont-Faulcon et les autres en une fosse[2].

En ce temps étoit venu nouvellement le duc de Berry à Carcassonne et sur les frontières d’Arragon, car il venoit d’Avignon de voir le pape ; si ouït recorder comment ceux de Dulcen étoient pris et morts : tantôt il escripsit devers le roi d’Arragon et devers sa cousine madame Yollent de Bar, en priant que on lui voulsist renvoyer le Goulent et Pierre de Mont-Faulcon, car ils étoient à lui. Le roi et la roine, à la prière de leur oncle, les délivrèrent ; et furent renvoyés au duc de Berry. Celle grâce leur fit-il avoir, autrement ils eussent été tous morts sans merci.

CHAPITRE LI.

Comment un champ de bataille fut fait à Bordeaux sus Gironde devant le sénéchal et plusieurs autres, et comment messire Charles de Blois fut mis hors de prison d’Angleterre et laissa ses deux fils en son lieu en Angleterre.


En ce temps ot à Bordeaux sus Gironde appertise d’armes devant les seigneurs, le sénéchal messire Jean Harpedane et les autres, du seigneur de Rochefoucault, François, et de monseigneur Guillaume de Montferrant, Gascon anglois. Et requit le sire de Rochefoucault, qui fils étoit de la sœur au captal de Buch, l’Anglois à courir trois lances à cheval, férir trois coups d’épées, trois coups de dagues et trois coups de haches ; et furent les armes faites devant les seigneurs et dames du pays qui lors étoient à Bordeaux. Et y envoya le comte de Foix les chevaliers de son hôtel pour servir et conseiller le seigneur de Rochefoucault, qui fils étoit de sa cousine germaine ; et lui envoya bons chevaux et armures, dagues, haches, épées et fers de glaives très bons, outre l’enseigne, quoique le sire de Rochefoucault en fût bien pourvu. Si s’armèrent un jour les deux chevaliers, bien accompagnés chacun de grand’chevalerie de son côté. Et avoit le sire de Rochefoucault bien deux cens chevaliers et écuyers et tous de son lignage ; et messire Guillaume de Montferrant bien autretant ou plus. Et là étoient avecques lui : le sire de l’Esparre, le sire de Rosem, le sire de Duras, le sire de Mucident, le sire de Landuras, le sire de Courton, le sire de Langoyran, le sire de la Barde, le sire de Taride et le sire de Mont-roial en Pierregort, et tous par lignage. Et pour ce que l’appertise d’armes étoit de deux vaillans chevaliers emprise, les venoit-on voir de plus loin.

Quand ils furent montés sur leurs chevaux et ils eurent leurs targes, et lacés leurs heaumes, on leur bailla leurs glaives. Adonc éperonnèrent-ils leurs chevaux de grand randon, et s’en vinrent l’un sur l’autre de plain eslai, et se consuivirent ens ès heaumes de telle façon que les flamèches en saillirent ; et portèrent tout jus à terre aux fers des lances leurs heaumes, et passèrent outre à têtes nues excepté les coiffes. « Par ma foi, dirent les seigneurs et les dames, chacun et chacune en droit de soi, ils se sont de première venue bien assenés. »

Adonc entendit-on au remettre à point et de

  1. Espèce de pilori.
  2. Dans un cachot.