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LIVRE II.

devoit tant faire envers le roi de France, en quelle garde Charles de Navarre étoit, que il devait retourner en Navarre, ainsi qu’il fit ; car à sa prière le roi de France lui renvoya[1]. Et devoit, parmi le mariage faisant, le roi de Navarre prêter dix ans, en cause de sûreté, au roi Henry la ville et le châtel de l’Estoille, la cité et le châtel de Tudelle, la ville et le châtel de la Garde ; et devoit le roi Henry rendre aux Anglois messire Pierre de Courtenay qui étoit son prisonnier, ainsi qu’il fit, et le seigneur de l’Esparre, Gascon[2]. Toutes ces choses furent scellées, confirmées et accordées et jurées à tenir fermes et estables à tous jours mais entre l’un roi et l’autre et leurs royaumes, et quiconque les briseroit ni romproit par aucune incidence, il se mettoit et soumettoit à la sentence du pape.

Entrementes que ces traités se faisoient et composoient, le roi de Navarre, qui étoit tenu envers les Anglois en la somme de vingt mille francs, pour lui acquitter envers eux, envoya en Arragon le vicomte de Castelbon pour quérir ces deniers et emprunter au roi d’Arragon, lequel roi lui prêta volontiers ; mais ses bonnes villes en demeurèrent en pleiges telles que Pampelune, Mirande, le Bourgh-la-reine, Corelle, et Saint-Jean du Pied des Ports[3].

Ainsi furent les Anglois payés et délivrés, et se partirent tout contens du roi de Navarre, et retournèrent arrière à Bordeaux, et de là en Angleterre ; et le mariage se fit de Charles de Navarre et de la fille au roi Henry, qui s’appeloit Jeanne, moult belle dame[4].

En cel an[5] trépassa le roi Henri de Castille, dont tout son royaume fut durement courroucé.

Tantôt après son trépas les Espaignols et les Castellains couronnèrent à roi son ains-né fils Jean : si demeura roi, par l’accord des prélats et des barons du royaume, d’Espaigne, de Castille, de Gallice, de Séville et de Corduan, et lui jurèrent tous foi et hommage à tenir à toujours mais.

Adonc s’émut la guerre entre le roi de Portingal[6] et le roi Jean de Castille, qui dura moult longuement, si comme vous orrez recorder avant en l’histoire ; mais nous retournerons aux besognes de France.


CHAPITRE XLIII.


Comment le seigneur de Mucident se rendit Anglois, et comment le seigneur de Langurant fut occis par le capitaine de Carvilac, et la prise de Bouteville par les François[7].


Vous avez bien ouï ci-dessus recorder comment le sire de Mucident se tourna François par la prise où il fut pris à Ymet en Gascogne, et comment il vint voir le roi de France, et bien séjourna un an à Paris ou plus. Et tant y fut que il prit déplaisance, car il cuida au commencement et aussi au deffinement trouver au roi de France telle chose qu’il ne trouva mie, dont il se mélancolia et se repentit grandement de ce qu’il s’étoit tourné François ; mais il disoit que ce avoit été par contrainte et non par autre voie. Si s’avisa que il s’embleroit de Paris où il avoit trop séjourné et se retourneroit en son pays et se rendroit Anglois ; car mieux en courage lui plaisoit le service du roi d’Angleterre que celui

    fille du roi D. Henri de Castille, est antérieur de plusieurs années à cette paix. Il fut célébré, le 27 mai 1375, à Soria.

  1. Suivant Secousse, le prince Charles de Navarre était venu en France vers le mois de mars 1378, et les actes du temps prouvent qu’il n’est retourné en Navarre que vers 1383. Ainsi Froissart s’est trompé quant au temps et aux circonstances du mariage de ce prince avec l’infante de Castille.
  2. Ayala rapporte des conditions différentes. Voici les articles principaux de cette paix. Henri, en se réconciliant avec le roi de Navarre, se réserve de rester allié avec la France. Le roi de Navarre renverra hors d’Espagne tous les capitaines des compagnies anglaises. Le roi de Castille retient comme gages de l’observation des traités les places de Tudela, Los Arcos, San-Vicente, Bernedo, Viana, Estrella, Lerin, Larraga, et quelques autres, au nombre de vingt, qui devaient être confiées à des chevaliers castillans. D. Ramir Sanchez de Arellano avait la garde d’Estrella pour les deux rois. Le roi de Castille prêtait au roi de Navarre vingt mille doubles pour l’aider à payer les Anglais et Gascons qu’il avait amenés avec lui et donnait en nantissement du paiement le château de la Guardia. Ces gages devaient rester pendant dix ans entre les mains du roi de Castille, qui de son côté rendrait au roi de Navarre toutes les places conquises sur lui par l’infant dans la dernière guerre.
  3. Ces renseignements ne sont pas tout-à-fait exacts. Voyez la note précédente.
  4. Elle ne s’appelait pas Jeanne, mais Léonore.
  5. C’est-à-dire l’année de la paix et non du mariage, qui eut lieu, comme je l’ai dit dans une note précédente, en 1375. Henri II mourut à Santo-Domingo de la Calzada, le lundi 30 mai, second jour de la Pentecôte, l’année 1379, âgé de quarante-six ans et six mois, après un règne de treize ans et deux mois.
  6. Ferdinand.
  7. Les faits rapportés dans ce chapitre appartiennent à l’année 1378 ou 1379.