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LIVRE III.

rent-ils jusques en la cité du Port ; et fut la duchesse et sa fille, et toutes les dames et damoiselles, ordonnées de loger au palais. Là vint le roi premièrement contre les dames et damoiselles, et en recueillant les baisa toutes l’une après l’autre ; et puis vint la roine bien accompagnée de dames et de damoiselles, laquelle reçut sa dame la duchesse et sa sœur moult honorablement, car bien le sçut faire ; et ne les voult oncques laisser, à tant que toutes furent en leurs chambres. Moult fut toute l’ostellée du roi réjouie de la venue des dames. De toutes leurs accointances ne me vueil-je pas trop ensoigner de parler, car je n’y fus pas ; je ne le sais fors par le gentil chevalier messire Jean Ferrant Percek qui y fut et qui m’en informa. Là remontra la duchesse au roi de Portingal, quand heure fut, toutes les paroles dont le duc son mari l’avoit avisée et chargée du dire et conter. Le roi répondit moult doucement et sagement, et lui dit : « Dame et cousine, je suis tout prêt, si le roi de Castille se met avant sus les champs. Et aurai sur trois jours trois mille lances, car ils logent tous aux champs sur les frontières de Castille ; et aurai encore bien vingt mille combattans des communautés de mon royaume qui ne sont pas à refuser ; car ils me valurent grandement un jour à la bataille qui fut à Juberotte. » — « Sire, dit la dame, vous parlez bien, et grands mercis. Si rien surcroît à monseigneur, tantôt il le vous signifiera. » Ainsi se tinrent ensemble en telles paroles et en autres le roi de Portingal et la duchesse. Or retournons-nous un petit à ceux de Betances et conterons comment ils exploitèrent.

Quand ces six hommes de Betances furent devant le roi de Castille, ils se mirent à genoux et dirent : « Très redouté sire, il vous plaise à entendre à nous. Nous sommes ici envoyés de par votre ville de Betances, laquelle s’est mise, et de force, en composition devers le duc de Lancastre et la duchesse. Et ont souffrance de non être assaillis neuf jours. Et là en dedans, si vous y venez fort assez ou envoyez tellement que pour résister contre la puissance du duc, la ville vous demeurera ; ou si non ils se sont obligés, et en ont baillé otages, que ils se rendront. Si que, très redouté roi, il vous en plaise à répondre quelle chose vous en ferez. » Le roi répondit et dit : « Nous nous conseillerons et puis aurez réponse. » Adonc se départit le roi de leur présence et rentra en sa chambre. Je ne sais si il se conseilla ou non, ni comment la besogne se porta, mais iceux six hommes de Betances furent là huit jours que oncques ils ne furent répondus, ni depuis ils ne virent point le roi.

Or vint le jour que la ville se devoit rendre, et point n’étoient encore retournés leurs gens. Le duc de Lancastre envoya son maréchal au dixième jour parler à ceux de Betances et dire que ils se rendesissent, ou il feroit couper les têtes à leurs otages. Le maréchal vint à Betances jusques aux barrières et fit là venir les hommes de la ville parler à lui ; ils y vinrent. Quand ils y furent venus, il leur dit : « Entendez, entre vous bonnes gens de Betances ; monseigneur m’envoie devers vous et vous fait demander pourquoi vous n’apportez les clefs de celle ville à son logis et vous mettez en son obéissance ainsi que faire devez. Les neuf jours sont accomplis dès hier et bien le savez. Si vous ne le faites, il fera trancher les têtes à vos otages et puis vous viendra assaillir et prendre par force, et serez tous morts sans merci, ainsi que furent ceux de Ribedave. »

Quand les hommes de Betances entendirent ces nouvelles, si se doutèrent à perdre leurs amis qui étoient en otages devers le duc, et dirent : « En bonne vérité, monseigneur le maréchal, monseigneur de Lancastre a cause de dire ce que vous dites ; mais, nous ne oons nulles nouvelles de nos gens que nous avons pour icelle cause envoyés devers le roi au Val-d’Olif ni que ils sont devenus. » — « Seigneurs, dit le maréchal, espoir sont-ils retenus pour les nouvelles que ils ont là apportées, qui ne sont pas ni ont été trop plaisantes au roi de Castille. Et monseigneur ne veut plus attendre. Pourtant avisez-vous, car moi fait votre réponse, il est ordonné que vous aurez l’assaut. » Donc reprirent-ils la parole et dirent : « Sire, or nous laissez assembler toute la ville et nous parlerons ensemble. » — « Je le vueil, » dit-il.

Lors rentrèrent-ils en Betances et firent sonner de rue en rue les trompettes pour assembler toutes manières de gens et venir en la place. Ils s’assemblèrent ; et quand ils furent tous assemblés, ils parlementèrent ; et remontrèrent les plus notables à la communauté toutes les paroles que vous avez ouïes. Si furent d’accord que ils ren-