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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

droient la ville et racheteroient leurs otages qui en prison étoient, car ils ne les vouloient pas perdre. Si retournèrent au maréchal et dirent ces nouvelles en disant : « Monseigneur le maréchal, en toutes vos demandes n’y a que raison : nous sommes appareillés de recevoir monseigneur et madame et mettre en la possession de celle ville, et véez-cy les clefs. Nous nous en irons avecques vous devers eux en leurs logis, mais que il vous plaise et que vous nous y veuilliez mener. « Répondit le maréchal : « Oui, volontiers. »

Donc yssirent de Betances bien soixante, et emportèrent avecques eux les clefs des portes, et le maréchal les mena tout droit au duc et fit pour eux l’entrée et la parole. Le duc les recueillit et leur rendit leurs otages, et entra ce jour en la cité de Betances et s’y logea. Et s’y logèrent aussi ses gens qui loger s’y purent.

Au chef de quatre jours après ce que Betances se fut rendue au duc de Lancastre, retournèrent les six hommes, lesquels avoient été envoyés au Val-d’Olif, devers le roi de Castille. Si furent enquis et demandés de ceux de la ville pourquoi ils avoient tant demouré. Ils répondirent qu’ils ne l’avoient pu amender. Bien avoient parlé au roi ; et répondit le roi, quand ils les eut ouïs et entendus, que il se conseilleroit sus pour donner réponse ; « et pour ce séjournâmes-nous là huit jours, et encore sommes-nous retournés sans réponse. » On ne leur demanda plus avant ; mais ils dirent bien que on disoit au Val-d’Olif que le roi de Castille attendoit grand’gens qui venoient de France, et jà en y avoit foison de venus qui étoient logés sus le pays et se logeoient à la mesure qu’ils venoient. Mais encore étoient les capitaines, messire Guillaume de Lignac, et messire Gautier de Passac, derrière, et les grosses routes, et étoient jà sus le chemin la greigneur partie des chevaliers et des écuyers qui en Espaigne devoient aller avecques les dessus dits deux capitaines ; mais ceux qui étoient retenus de la route du duc de Bourbon étoient encore en leurs hôtels.

Or passèrent messire Guillaume de Lignac et messire Gautier de Passac tout outre le royaume de France et entrèrent tous, eux et leur route, en la Languedoc. Et étoient plus de mille lances chevaliers et écuyers, de tous pays du royaume de France, lesquels alloient en Castille pour gagner les gages du roi. Et s’assemblèrent toutes gens en Carcassonne, en Narbonne et en Toulousain ; et ainsi qu’ils venoient ils se logeoient en ce bon pays et prenoient à leur avis le plus gras. Et tant y avoit des biens que ils ne payoient chose que ils y prensissent.

Les nouvelles vinrent au comte de Foix qui se tenoit à Ortais en Berne, que gens d’armes de France approchoient son pays à pouvoir et vouloient passer parmi, et alloient en Espaigne. « Mais tant y a, monseigneur, ils ne payent chose que ils prennent ; et fuit tout le menu peuple par-tout où ils viennent, devant eux, si comme ils fussent Anglois. Mais encore se tiennent les capitaines à Carcassonne, et leurs gens là environ qui s’y amassent de tous lez. Et passeront la rivière de Garonne à Toulouse, et puis entreront en Bigorre, et de là ils seront tous en votre pays. Et si ils y font ce que ils ont fait au chemin que ils sont venus, ils vous porteront et à votre pays de Berne grand dommage ; regardez que vous en voulez dire et faire. »

Répondit le comte de Foix, qui tantôt fut conseillé de soi-même, et dit : « Je veuil que toutes mes villes et mes châteaux, autant bien en Foix comme en Berne, soient pourvus et gardés de gens d’armes, et tout le plat pays avisé de chacun être en sa garde, ainsi que pour tantôt entrer en bataille : je ne vueil pas comparer la guerre de Castille. Mes terres sont franches. Si François veulent passer parmi, vraiment ils payeront tout ce que ils prendront ou les passages leur seront clos. Et si vous en charge, messire Arnoul Guillaume et vous messire Pierre de Berne. » Ces deux chevaliers étoient frères bâtards, vaillans hommes et bien se savoient eux maintenir en armes. « Monseigneur, répondirent ceux, et nous nous en chargeons. »

Donc furent parmi toutes les terres du comte de Foix faites ordonnances que chacun fût prêt et pourvu de toutes armures ainsi comme à lui appartenoit, et que autrefois l’avoient été au mieux ; et que du jour à lendemain ils vinssent là où ils seroient mandés. Lors vissiez en Foix, en Berne et en la seneschauldie de Nebosem toutes gens prêts et appareillés, ainsi que pour tantôt entrer en bataille. Si fut envoyé en la cité de Pamiers, lui bien hourdé de cent lances et de bonnes gens d’armes, messire Espaing de Lyon ; à Savredun, messire Ricart de Saint-Léger ; à Massères se tint messire Pierre de Berne, à cent