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LIVRE III.

y étoit ; et maintenant on s’en doit bien taire, car ils ne savent guerroyer fors que les bourses aux bonnes gens. À ce faire sont-ils tous appareillés. Il n’y a en France que un enfant à roi, et si nous donne tant à faire que oncques ses prédécesseurs n’en firent tant. Encore a-t-il montré grand courage de venir en ce pays. Il n’a pas tenu à lui, fors à ses gens. On lui doit tourner à grand’vaillance. On a vu le temps que, si telles apparences de nefs et de vaisseaux fussent avenues à l’Escluse, que le bon roi Édouard ou son fils les fussent allés combattre à l’Escluse ; et maintenant les nobles de ce pays sont tous réjouis, quand ils n’ont que faire et que on les laisse en paix ; mais pour ce ne nous laissent-ils pas en paix ni en repos d’avoir de l’argent. On a vu le temps que, quand les conquêtes se faisoient de ceux de ce pays en France ; et si n’en payoit-on ni maille ni denier, dont on s’en sentit en rien ; mais retournoient et abondoient les biens de France en ce pays, tant que tous en étoient riches. Où vont les finances si grandes et si grosses que on lève par tailles en ce pays avecques les rentes et coutumes du roi ? Il faut qu’elles se perdent ou soient emblées. On devroit savoir comment le royaume est gouverné ni le roi mené. Et ce ne se peut longuement souffrir que il ne soit sçu ; car ce pays n’est pas si riche ni si plein de puissance que il puist porter le faix que le royaume de France fait et feroit, où tous les biens de ce monde redondent. Encore outre, il appert bien que nous sommes en ce pays affoiblis de sens et de grâce. Nous soulions savoir toutes les armes et les consaulx qui en France se faisoient trois ou quatre mois devant. Donc nous nous pourvoyons et avisions là dessus. À présent nous n’en savons rien ; mais savent les François tous nos secrets et notre conseil ; et si n’en savons qui inculper. Si sera-t-il sçu un jour, car il y a des traîtres couverts en la compagnie. Et mieux vaudroit que on le sçût tôt que tard ; car on le pourroit bien savoir si tard que on n’y pourroit remédier ni aider. »

Ainsi par divers langages se devisoient les gens en Angleterre, et aussi bien chevaliers et écuyers que communautés ; tant que le royaume en gisoit en dur parti et en grand péril. Et pour ce l’assemblée que le roi d’Angleterre, ses oncles et son conseil avoient faite étoit grande et grosse. Et avoient fait grands coustages en plusieurs manières, pour aller et remédier à l’encontre du roi de France et des François, qui devoient par l’Escluse entrer et venir en Angleterre ; car chevaliers et écuyers qui en avoient été mandés vouloient être payés de leurs sauldées ; c’étoit raison. Si fut ordonné un parlement général en la cité de Londres, des nobles, des prélats et des communautés d’Angleterre ; et principalement la chose étoit taillée et assise pour faire une grosse taille en Angleterre et de prendre sus chacun feu un noble, et le fort portant le foible.

Le parlement s’ajusta ; et vinrent à Wesmoustier tous ceux qui venir y devoient, et encore plus. Car moult y vinrent pour ouïr et savoir nouvelles qui point n’y étoient mandés. Là fut le roi et ses deux oncles, messeigneurs Aymon et Thomas[1]. Là furent tous les nobles. Et fut parlementé et dit que on ne savoit au trésor du roi point de finance, fors que pour son état maintenir bien sobrement ; et que il convenoit, ce disoient ceux de son conseil, que on fesist une générale taille parmi le royaume d’Angleterre, si on vouloit que le grand faix et le grand coûtage qui avoit été fait généralement, pour la doutance du roi de France et des François, fussent payés.

À tout ce s’accordoient assez bien tous ceux de l’évêché de Nordvich et de l’archevêché de Cantorbie, de la comté d’Excesses, de la comté de Hantonne[2], de l’évêché de Warvich et de la terre au comte de Sallebery[3], pourtant que ils sentoient mieux que ce avoit été que les autres lointains, et que ils avoient eu plus grand’paour que ceux du Nord ni ceux de la marche de Galles, de Bristo, ni de Cornouailles. Et y étoient les lointains tout rebelles, et disoient : « Nous n’avons nulluy vu de nos ennemis venir en ce pays. À quelle fin mettrions-nous outre si grand’somme et serions-nous grevés et pressés, et si n’a-t-on rien fait ? » — « Ouil, ouil, disoient aucuns : qu’on parole à l’archevêque d’Yorch, conseiller du roi, au duc d’Irlande qui a eu soixante mille francs du connétable de France pour la rédemption de Jean de Bretagne : cet argent-là dut avoir été tourné au commun profit d’Angleterre. Qu’on parole à messire Simon Burlé,

  1. Edmond, duc d’York, et Thomas, duc de Glocester.
  2. Southampton est dans le Hampshire.
  3. Salisbury est dans le Wiltshire.