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LIVRE III.

quand il vit que son beau-frère de Cliçon étoit hors du péril de la mort ; et fit ouvrir la tour. On l’ouvrit au commandement du duc et non autrement. Lors monta le sire de Laval amont les degrés, et vint à un étage de la tour où il trouva le connétable moult ébahi, car il n’attendoit que la mort ; et étoit enferré de trois paires de fers.

Quand le sire de Cliçon vit le sire de Laval, si lui revint le cœur, et pensa que aucun traité y avoit. « Avant, dit le sire de Laval à ceux qui là étoient envoyés de par le duc, déferrez beau-frère de Cliçon et puis je parlerai à lui. » Et dit au sire de Cliçon : « Vous ferez, beau-frère, ce que je vous dirai. » — « Ouil, beau-frère, » répondit le connétable. À ces mots il fut déferré. Lors se trait à part le sire de Laval et lui dit : « Beau-frère, à grand’peine et à grand tourment ai-je pu tant faire que la vie vous soit sauvée. J’ai fait votre fin ; il vous faut payer, avant que issiez hors de céans, en deniers tous comptans cent mille francs ; et encore outre, il vous faut rendre au duc trois chasteaux et une ville, Chastel-Brouch, Chastel-Josselin et le Blaim[1] et la ville de Jugon ; autrement vous n’avez point de délivrance. » Dit le connétable : « Je vueil tenir ce marché. » — « Vous avez droit, beau-frère ; et tout heureux quand vous y pouvez venir. »

Adonc dit le connétable : « Qui pourra soigner d’aller à Cliçon et ailleurs querre la finance là où je l’envoierai ? Beau-frère de Laval, il vous y faudra aller. » Répondit le sire de Laval : « Je n’y entrerai jà ; ni jamais de ce chastel ne partirai si en sauldrez aussi, car je sens le duc trop cruel. Si il se repentoit en l’absence de moi, par aucune folle imagination que il auroit sur vous, ce seroit tout rompu. « Et qui y pourra aller, » ce dit le sire de Cliçon ? « Il ira, dit le sire de Laval, le sire de Beaumanoir qui est en prison comme vous êtes ; cil fera toutes les délivrances. » — « C’est bon, ce répondit le connétable. Descendez aval et ordonnez-en ainsi que vous savez que bon est. »

CHAPITRE LXV.

Comment le connétable de France fut délivré à la requête du sire de Laval par rançon, et comment le connétable, pour sa délivrance faire, laissa au duc trois châteaux et une ville, et paya cent mille francs.


À ces coups descendit le sire de Laval et s’en vint en la chambre du duc qui s’appareilloit pour aller coucher, car toute la nuit il n’avoit point dormi. Le sire de Laval l’inclina et lui dit : « Monseigneur, c’est fait. Vous aurez votre demande. Mais il faut que vous nous fassiez délivrer le seigneur de Beaumanoir, et que beau-frère de Cliçon et lui parolent ensemble ; car il ira pour faire les finances, et pour mettre vos gens en la possession des chastels que vous demandez. » — « Bien, dit le duc ; on le délivre donc hors des fers ; et les mette-t-on, Cliçon et lui, en une chambre ; et vous soyez moyen de leur traité, car je n’en vueil nul voir. Et jà, quand je aurai dormi, retournez vers moi, nous parlerons encore ensemble. » — « Bien, monseigneur, » dit le sire de Laval.

Adonc issit-il hors de la chambre du duc et s’en alla là où le sire de Laval les mena, en la compagnie des deux chevaliers qui vinrent là où le sire de Beaumanoir étoit enferré et avoit été moult ébahi et en grand’doutance de la mort ; et cuida bien, ce dit-il depuis, quand on ouvrit la chambre, que on le vînt quérir pour faire mourir. Et quand il vit le seigneur de Laval, le cœur lui revint ; et encore plus quand il lui dit : « Sire de Beaumanoir, votre délivrance est faite. Réjouissez-vous. » À ces mots fut-il déferré et amené en la salle. Adoncques alla-t-on quérir le connétable, et fut amené aval, et mis entre eux trois en une chambre, et lors aporta-t-on vins et viandes assez. Et sachez que tous ceux de l’hôtel furent grandement réjouis, quand ils sçurent comment les besognes alloient et étoient tournées sur le mieux ; car envis avoient-ils vu ce que fait on avoit au connétable et au seigneur de Beaumanoir ; mais amender ne l’avoient pu, car obéir les convenoit à leur seigneur, fût à tort fût à droit.

Et sachez que depuis que la porte du chastel fut fermée et le pont levis levé, que oncques homme ni femme n’entra au haut chastel ni issit aussi, car les clefs étoient en la chambre du duc, et furent là tant que il ot dormi. Et jà étoit, quand il se leva, tierce, dont écuyers et

  1. Lamballe.