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LIVRE III.

Ces Galiciens, par l’admonnestement de ces Bretons, voulsissent ou non, s’encourageoient, ce que point n’eussent fait si ils n’eussent été, mais ils se fussent tantôt rendus sans assaut. Car au voir dire et parler, en Castille et en Galice les communautés ne valent rien à la bataille. Ils sont mal armés et de povre courage. Les nobles et ceux qui s’appellent gentilshommes sont assez bons, mais qu’ils soient aux champs et aux chevaux ; mais quand ils ont fait leurs empeintes, ils tournent le dos et fièrent chevaux des éperons en fuyant toudis devant eux.

Or vinrent les Anglois tous appareillés et ordonnés pour assaillir, environ heure de soleil levant ; et s’en allèrent ens ès fossés, qui étoient parfonds assez et sans eau, et vinrent jusques aux palis sans nul empêchement, car ce tiers jour ils avoient coupé et abattu ronces et épines et tout ce qui ensonnier les pouvoit ; et apportoient haches à grands fers et larges en leurs poings, dont ils commencèrent à abattre ces palis et mettre jus à leurs pieds. Et pour ce ne forent-ils encore pas au mur, car ils avoient à passer un fossé bien aussi large ou plus comme celui que passé avoient, et là avoit en aucuns lieux de la bourbe ; mais ils ne ressoignoient pas leur peine, ainçois se boutèrent dedans ce fossé et vinrent jusques au mur.

Quand ceux qui étoient amont les virent approcher de si près, pour ce ne s’ébahirent-ils pas, mais se défendirent très vaillamment ; et lançoient ces Galiciens dardes dont le coup étoit moult périlleux. Car qui en étoit atteint à plein, il convenoit que il fût bien pavoisé et fort armé, si il n’étoit durement blessé.

Là s’avisèrent Anglois pour dresser échelles ; et forent apportées en plusieurs lieux et dressées amont, car on les avoit ouvrées et charpentées le jour devant que ils n’avoient point assailli. Là vissiez chevaliers et écuyers avancer pour monter amont, les targes sur leurs têtes et l’épée en la main, et venir combattre main à main ces Bretons, qui au voir dire vaillamment se défendoient ; car je tiens la vaillance en ce que tant assaillir se faisoient et bien savoient que ils ne seroient confortés de nulluy ; car l’ordonnance des François et du roi de Castille étoit telle, que on laissoit convenir les Anglois en Galice et ailleurs, si passer ils vouloient, sans eux combattre ni ensonnier ; et ces Bretons se tenoient ainsi. « Ha ! disoient les aucuns Anglois, si toutes les villes de Castille nous donnoient autant de peine comme fait celle, nous n’averions jamais fait. » Et disoient les autres : « Il y a là dedans grand pillage que ils y ont assemblé et attraîné du pays et d’environ ; pour ce montrent-ils si grand’défense, que ils veulent que on traite à eux de rendre la ville, et que tout leur demeure sans rien remettre arrière. » Et demandoient les aucuns : « Qui sont les capitaines ? » — « Ils sont deux bâtards bretons hommes d’armes et qui savent bien que c’est d’assaut et de siége, car ils y ont été plusieurs fois. C’est le bâtard de Pennefort et le bâtard d’Auroy. » — « Qui que ce soient, disoient les autres, ils sont vaillans gens, car ils ne voient apparence de secours de nul côté, et si se tiennent ainsi. »

Ceux qui montoient sus ces échelles par appertises d’armes étoient à la fois reboutés et reversés tout jus, et lors y avoit grand’huerie de ces Espaignols.

Quand le duc de Lancastre fut levé et il ot ouï sa messe, il dit que il vouloit venir voir l’assaut. Si monta sur un coursier ; et n’étoit point armé, et faisoit porter devant lui son pennon pleinement de France et d’Angleterre à trois labiaux d’argent, et ventiloit au vent par manière d’une estranière, car le coron descendoit bien près à terre. Et quand le duc fut venu, si s’efforça l’assaut, car compagnons s’avançoient afin que ils eussent plus grand’louange. Et aussi ceux qui se défendoient, les Bretons et les capitaines, quand ils virent le pennon du duc ventiler, ils connurent bien que il étoit là ; si s’efforcèrent tant plus de faire armes. Ainsi et en tel état furent-ils assaillans et défendans jusques à heure de tierce. Et n’étoit pas apparent que ils dussent la ville d’Aurench gagner si légèrement ni de tel assaut.

Adonc demanda le duc : « Et qui sont les capitaines de là dedans ? » On les lui nomma. Donc, dit le duc : « Dites au maréchal que il traite à eux ou fasse traiter, pour savoir si ils voudront rendre la ville et mettre en mon obéissance ; je crois que on ne leur a encore oncques point demandé. Allez, dit-il à un sien chevalier, messire Guillaume, faites le maréchal venir parler à moi. » Le chevalier se départit du duc et chevaucha avant, et vint devers le maréchal et lui