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LIVRE III.

messire Regnault de Roye, messire Guillaume de Montigny et plusieurs chevaliers et écuyers étoient.

Tant exploita l’ost au duc de Lancastre que ils virent le chastel de Noye. Adonc dit le maréchal : « Véez-là Noye en Galice. Si comme la Colloingne est une des clefs de Galice au-lez devers la mer, est le chastel de Noye une autre clef de Galice au-lez devers Castille ; et n’est pas sire de Galice, qui n’est sire de la Colloingne et de Noye. Nous irons jusques à la voir les compagnons. On dit que le Barrois des Barres, un des plus apperts chevaliers du royaume de France, s’y tient. Et si ferons à l’entrée du pont quelque escarmouche. » — « Nous le voulons, » répondirent les compagnons qui chevauchoient de-lez lui, messire Maubruin de Linières, et messire Jean d’Aubrecicourt.

Lors chevaucha l’avant-garde, où bien avoit cinq cents lances, et tous bonnes gens, car le duc y avoit envoyé une partie de ses gens pourtant que il approchoit le chastel, pour faire plus grand’montre à ceux du chastel ; et aussi il savoit bien que son maréchal les iroit voir et faire armes, s’il trouvoit à qui.

Quand la gaitte du châtel vit approcher l’avant-garde et les Anglois, si commença à corner et à lui demener par telle manière que c’étoit grand’plaisance de la voir et ouïr. Le Barrois et les compagnons entendirent tantôt que les Anglois venoient. Si se armèrent et mirent tous en bonne ordonnance ; et étoient bien deux cents hommes d’armes ; et s’en vinrent tout outre jusques aux barrières, et là s’arrêtèrent en bon convenant, Et y avoit douze pennons. Mais messire Jean des Barres étoit le plus renommé, et aussi avoit-il le plus de charge des armes ; et messire Jean de Chastel-Morant après.

Quand messire Thomas Morel, maréchal de l’ost, vit que ils étoient assez près de la ville et des barrières, il s’arrêta sur les champs. Aussi se arrêtèrent toutes ses gens et mirent pied à terre, et baillèrent leurs chevaux aux pages et aux varlets, et puis s’en vinrent tout joignant et tout serré jusques bien près des barrières, chacun chevalier et écuyer leurs lances en leurs mains ; et n’alloient que le pas, et de six pas en six pas ils se arrêtoient pour eux mieux ordonner et aller tout joint sans eux ouvrir. Au voir dire, c’étoit belle chose que du voir.

Quand ils furent là où ils vouloient venir, ils s’arrêtèrent et puis s’en vinrent tout de front faire aux barrières armes. Ils furent reculés de grand’façon et par bonne ordonnance ; et crois bien que si ils fussent tous au plain sur les champs il y eut eu telles armes faites qu’il n’y ot point là, car là ils ne pouvoient advenir les uns aux autres, pour les barrières qui étoient closes et fermées.

Là étoit arrêté le maréchal de sa lance sur messire Jean de Chastel-Morant et il sur le maréchal ; et se travailloient pour porter dommage l’un à l’autre, mais ils ne pouvoient, car ils étoient trop fort armés ; et messire Thomas de Percy sur messire le Barrois ; et messire Maubruin de Linières sur messire Guillaume de Montigny ; et messire Regnault de Roye sur messire Jean d’Aubrecicourt ; et le sire de Taillebot sur messire Tristan de la Gaille ; et aussi chacun avoit son pareil. Et si avant que ils se pouvoient asséner luttoient et escarmouchoient de leurs lances. Et quand ils étoient lassés et travaillés, ou trop échauffés, ils changeoient le pas, et autres chevaliers, tant d’un côté que d’autre, revenoient frais et nouveaux, et escarmouchoient. Là furent-ils en tel ébattement jusques à la tierce toute haute. Bien étoit onze heures quand l’escarmouche se cessa. Et puis encore revinrent archers aux barrières, mais les chevaliers, pour la doutance du trait, se départirent, et ordonnèrent leurs arbalêtriers et les Espaignols qui lançoient dardes à l’encontre du trait. Et dura cette escarmouche, trayant et lançant l’un contre l’autre, jusques à nonne ; et puis y revinrent gros varlets pour escarmoucher jusques aux vêpres, et sus le soir jusques à soleil couchant. Et y retournèrent les chevaliers frais et nouveaux et tinrent l’escarmouche. Ainsi fut le jour tout employé jusques à la nuit que les Anglois se retrayrent en leurs logis, et les compagnons de Noye dedans leur fort, et firent bon guait.

Environ demie lieue du châtel de Noye, tout contre val la rivière, se logèrent les Anglois ; laquelle eau leur fit grand bien et à leurs chevaux aussi, car ils en avoient eu grand’deffaulte à venir jusques à là. Si se vouloient rafraîchir cinq ou six jours et puis iroient devant Ville-Arpent voir le connétable de Castille et les François qui là étoient ; et aussi ils avoient ouï nouvelles du