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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

roi de Portingal qui se logeoit ès plains de Férol et tout son ost aussi ; et vouloit venir devers la ville de Padron en Galice qui étoit aussi au chemin du duc et des Anglois. Et me semble que le roi de Portingal et le duc de Lancastre se devoient là trouver et être ensemble, et avoir collation de leur chevauchée, pour savoir comment ils persévèreroient. Car ils avoient jà été plus d’un mois sur le pays et avoient mis en leur obéissance tout le royaume de Galice ; petit s’en failloit ; et si ne oyoient nulles nouvelles du roi de Castille ni des François ; dont ils avoient grand’merveille, car on leur avoit dit que le roi de Castille avoit fait son mandement à Burges, où il se tenoit, de toutes les parties de Castille, de Séville, de Cordouan, de Toulette, d’Espaigne, du Lion, d’Esturges et du Val-d’Olif, et de Soire ; et avoit bien soixante mille hommes et six mille lances de purs François ; et y devoit être le duc de Bourbon, car il étoit parti de France et s’en venoit cette part. Pourtant s’en vouloient retourner eux et leurs deux osts ensemble, les Anglois et les Portingalois, pour être plus forts l’un pour l’autre et plus appareillés si leurs ennemis venoient ; car ils tenoient toutes ces nouvelles que on leur disoit des François et des Espaignols à bonnes et à vraies ; et en avoient par semblant grand’joie ; et vissent volontiers que on se délivrât de eux combattre, car ils ne pouvoient, ce leur sembloit, venir à perfection de leur besogne fors que par bataille.

Messire Guillaume de Lignac et messire Gautier de Passac se tenoient de-lez le roi de Castille là où que il fût ni allât. Car toutes les semaines il avoit deux ou trois fois nouvelles de France et comment on s’y maintenoit, et aussi du duc qui devoit venir et étoit jà mu, mais il avoit pris le chemin d’Avignon, car il vouloit venir voir le pape Clément et les cardinaux : si l’attendoient les dessus dits, et ne se fussent jamais combattus sans lui, ni pas il n’appartenoit. Entre les nouvelles que ils avoient eues de France, celle du duc de Bretagne qui avoit ainsi pris et attrapé au chastel de l’Ermine le connétable de France, et rançonné à cent mille francs, et eut trois de ses chastels et une ville, et rompit le voyage de mer de non aller en Angleterre, les faisoit plus émerveiller que nulle autre chose. Et ne pouvoient sentir à quel propos le duc de Bretagne l’avoit fait, et aussi ne faisoient nuls ou supposoient que ces conseils lui étoient venus d’Angleterre.

Ainsi que je vous dis et que j’ai dit ci-dessus, fut le royaume de France en esmay, espécialement les oncles du roi et les grands seigneurs qui l’aimoient et avoient à conseiller, par les défiances qui vinrent du duc de Guerles ; car elles furent felles et mal courtoises et hors de la rieulle des autres défiances, si comme vous direz que je vous dis voir, quand je vous les éclaircirai, et aussi du duc de Bretagne qui avoit brisé si grand fait que le voyage de mer, et pris merveilleusement celui qui en devoit être le chef, le connétable de France, et rançonné de cent mille francs, et lui avoit ôté quatre chastels ; laquelle chose étoit grandement au préjudice du roi, car on n’y pouvoit voir nul titre de raison. Le roi se portoit de toutes ces choses assez bellement, car il étoit jeune ; si ne les pesoit pas si grandement, que si adonc il eût été quarante ou cinquante ans d’âge. Et disoient les aucuns anciens, qui ramentevoient le temps passé : « Pour tel fait ou pour le semblable a eu le royaume de France moult à souffrir ; car le roi de Navarre fit occire messire Charles d’Espaigne, connétable de France pour le temps, pour laquelle occision le roi Jean ne put oncques depuis aimer le roi de Navarre, et lui tollit à son pouvoir toute sa terre de Normandie. » — « Pensez-vous, disoient les autres, que si le roi père de ce roi vivoit, qui tant aimoit le connétable, que il ne lui dût pas bien annoier ? Par Dieu si feroit ; il feroit guerre au duc de Bretagne et lui toldroit sa terre, combien que il lui dût coûter. »

Ainsi et en plusieurs manières en parloit-on au royaume de France ; car toutes gens disoient que il avoit mal fait. Or fut avisé et regardé des oncles du roi et du conseil, pour adoucir les choses et le peuple qui trop mal se contentoit du duc de Bretagne, et pour les besognes mettre et réformer en droit, que un prélat et trois barons sages et vaillans hommes seroient envoyés devers le duc de Bretagne, pour parler à lui et pour ouïr ses raisons, et pour lui faire venir à Paris ou ailleurs, là où le roi voudroit lui excuser de ce que il avoit mesfait. Si y furent nommés : premièrement, l’évêque de Beauvais, messire Milles des Dormans, un sage et vaillant homme et beau langagier. Avecques lui messire Jean de Vienne, messire Jean de Beuil et le sei-