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LIVRE III.

Beauchamp, messire Jean Sallebery, messire Nicolas Brambre, messire Pierre Goulouffre et autres ; et ceux, quand ils étoient mandés devant le conseil, se excusoient et jetoient tout sur lui. Et lui dit le duc d’Irlande : « J’ai entendu que vous serez arrêté et mis en prison tant que vous n’aurez rendu la somme que on vous demande. Ne débattez rien, allez là où on vous envoye. Je ferai bien votre paix, et l’eussent tous juré. Je dois recevoir du connétable de France soixante mille francs pour la rédemption de Jean de Bretagne, si comme vous savez que il me doit. Au fort je les vous prêterai pour apaiser le conseil de présent ; et en la fin le roi est souverain ; il vous pardonnera et quittera tout, car le profit lui doit retourner et non à autrui. » Répondit messire Simon Burlé : « Si je ne cuidois que vous ne me dussiez grandement aider envers le roi et aussi à porter outre mon fait, je me départirois hors d’Angleterre et m’en irois en Allemagne de-lez le roi de Boesme, je serois le bien venu ; et laisserois les choses courir un temps tant que elles seroient apaisées. » Lors dit le duc d’Irlande : « Je ne vous fauldroie pour rien. Jà sommes-nous compagnons et tout d’un fait ensemble, prenez terme de payer. Je sais bien que vous finerez quand vous voudrez, en deniers appareillés, de cent mille francs. Vous n’avez garde de mort ; vous ne serez jà mené si avant ; et si tourneront les choses autrement, avant qu’il soit la Saint-Michel, que nos seigneurs ne cuident, mais que je aie le roi à ma volonté ; et oyl je l’aurai, car tout ce qu’il fait à présent on lui fait faire par force. Il nous faut apaiser ces Londriens et autres mauvaises gens, et abattre ce tant d’esclandre qui maintenant s’élève contre nous et contre les nôtres. »

Sus ces paroles du duc d’Irlande se confia un petit trop messire Simon Burlé ; et vint devant les seigneurs d’Angleterre, ducs, prélats, barons et consaux des bonnes villes, quand il fut appelé. Là lui fut remontré et dit : « Messire Simon, vous avez été toujours un chevalier moult notable ens ou royaume d’Angleterre, et grandement vous aima monseigneur ie prince ; et avez eu en partie, le duc d’Irlande et vous, le gouvernement du roi. Nous avons regardé sus vos besognes, et les avons examinées et visitées. Elles ne sont, ce vous disons-nous, ni bonnes ni belles, dont il nous déplaît grandement pour l’amour de vous. Si est arrête de par le conseil général que vous alliez tenir prison en la tour de Londres, et là serez tant et si longuement que vous aurez à celle chambre, à notre ordonnance, rendu et restitué l’argent du roi et du royaume que vous avez eu et levé, et duquel vous êtes aidé, ainsi comme il appert par les rôles du trésorier, de la somme de deux cent et cinquante mille francs. Or regardez que vous voulez faire. » Messire Simon Burlé fut tout déconforté de répondre et dit : « Mes seigneurs, je ferai volontiers, et faire le me convient, votre commandement, et irai là où vous m’envoyez ; mais je vous prie que je puisse avoir un clerc de-lez moi lequel je ferai escripre les grands frais, dons et dépens que je ai faits du temps passé en procurant en Allemagne et en Boesme le mariage du roi notre sire. Et si trop ai eu, que je puisse avoir la grâce du roi notre sire et la vôtre, ce seront termes à payer. » — « Nous le voulons, répondirent les seigneurs. » Ainsi fut messire Simon Burlé emprisonné en la tour de Londres.

Or retourna le conseil sus messire Guillaume Helmen et sus messire Thomas Trivet ; car ils étoient petitement en la grâce d’aucuns barons d’Angleterre et aussi de toute la communauté d’Angleterre pour le voyage que ils avoient fait en Flandre. Et étoit dit que oncques Anglois ne firent en nul pays si honteux voyage. De ce étoient excusés l’évêque de Nordvich et le capitaine de Calais, qui fut pour un temps messire Hue de Cavrelée. Et ce qui empêchoit trop grandement les deux dessus dits, étoit ce qu’ils avoient pris argent de rendre Bourbourch et Gravelines. Et vouloient les aucuns en Angleterre ce fait approprier à trahison, si comme il est contenu ici dessus en l’histoire de la chevauchée de Berghes et de Bourbourch ; ils en gisoient en obligation envers le roi d’Angleterre et ses oncles et le conseil.

Or se renouvelèrent adonc toutes telles choses, quand ces seigneurs furent ensemble. Il fut avisé que on les manderoit devant le conseil. Ils furent mandés ; messire Guillaume Helmen y vint. Mais messire Thomas Trivet fut excusé grandement ; je vous dirai comment et pourquoi. En la propre semaine que les nouvelles du conseil y vinrent, en son hôtel au nord où il demeuroit, il étoit monté sur un jeune coursier que il avoit pour l’essayer aux champs ; si le poin-