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LIVRE III.

journoit à Chienes[1] et là environ. Mais le conseil, qui gréver le vouloient, s’en dissimuloient et disoient que ils ne le pouvoient délivrer, car ses besognes n’étoient pas claires. Adonc se partit le roi, et le duc d’Irlande en sa compagnie, et prirent le chemin de Galles ; et quelle part que le roi d’Angleterre allât, la roine sa femme et toutes les dames et damoiselles le suivoient.

CHAPITRE LXXIV.

Comment le roi d’Angleterre se départit de Londres. Comment messire Simon Burlé fut décollé à Londres, et du duc de Lancastre qui moult en fut courroucé ; et le nepveu d’icelui moult aussi.


Pour ce si le roi Richard d’Angleterre se départit de la marche de Londres ne se départirent pas les oncles du roi ni leur conseil, mais se tinrent à Londres et là environ.

Vous avez trop de fois ouï dire et retraire un proverbe que : « quand on a la maladie au chef, tous les membres s’en sentent, et convient que la maladie se purge par où que ce soit. » Je, auteur, j’entends cette maladie par les félonies et amisses qui pour ce temps étoient en Angleterre.

Les oncles du roi ne pouvoient nullement amer ce duc d’Irlande, car il leur sembloit trop prochain du roi, et étoit en telle prospérité que il tournoit le roi là où il vouloit, et le faisoit entendre et incliner là où il lui plaisoit ; si eussent volontiers vu sa destruction. Et bien savoit que messire Simon Burlé étoit un des prochains conseillers qu’il eût, et que entre eux deux ils avoient gouverné un long-temps le roi et le royaume d’Angleterre, et étoient soupçonnés que d’avoir la mise si grande que sans nombre ; et couroit la commune fame, en plusieurs lieux en Angleterre, que ce duc d’Irlande et messire Simon Burlé faisoient leur amas d’or et d’argent et avoient jà fait de long-temps en Allemagne. Et étoit venu à la connoissance des oncles du roi et du conseil des cités et bonnes villes d’Angleterre qui pour leur partie se tenoient, que du chastel de Douvres on avoit avalé coffres et huches de nuit secrètement et mis en vaisseaux sur le port de Douvres, et étoient eskippé en mer ; dont on disoit que ce avoit été finance assemblée par les dessus nommés, et boutée hors du pays frauduleusement et larrecineusement, et envoyée en autres contrées ; dont le royaume d’Angleterre en étoit grandement affoibli en chevance. Et s’en douloient moult de gens, et disoient que or et argent y étoit si cher à avoir et au conquérir que marchandise en étoit toute morte et perdue, ni on ne pouvoit concevoir ni imaginer que ce fût par une autre voie que par celle.

Tant se monteplièrent ces paroles que messire Simon Burlé fut grandement grevé ; et fut ordonné, des oncles du roi et du conseil des cités et bonnes villes d’Angleterre qui avecques eux étoient ahers et conjoints, que il avoit desservi punition de mort sus les articles de sa fin. Ce le condamna trop grandement, voire en la bouche du commun peuple, de l’archevêque de Cantorbie que il donna un jour conseil que la fiertre de Saint-Thomas de Cantorbie fût levée de là et portée à sauveté au chastel de Douvres, quand ils attendoient le passage du roi de France et des François. Et disoient communément tous et toutes, quand on le vit en danger de prison, que il le vouloit embler et mettre hors d’Angleterre.

Tant fut le chevalier agrevé que oncques excusances que il sçût ni pût dire ni montrer ne lui aidèrent de rien. Mais fut un jour mis hors du chastel de la tour de Londres, et décollé en la place devant le chastel, en forme de traître. Dieu lui pardoint ses mesfaits. Car quoique je escripse de sa mort honteuse, j’en fus bien courroucé ; mais faire le me convient pour vérifier l’histoire ; et tant que de moi je le plaignis grandement, car de ma jeunesse je l’avois trouvé doux chevalier et de grand sens à mon semblant. Ainsi et par telle infortune mourut messire Simon Burlé.

Son nepveu et son hoir messire Richard Burlé étoit avec le duc de Lancastre, en ce jour que ce meschef advint sus le chevalier en Angleterre, en Galice, et l’un des plus renommés de tout son ost après le connétable ; car il étoit souverain maréchal de tout l’ost. À la fois s’ensonnioit messire Thomas Moreau de son office, car messire Richard Burlé étoit du conseil du duc l’un des plus prochains que il eût. Si devez bien croire et sentir que, quand il sçut ces dures nouvelles de la mort de son oncle, si en fut moult courroucé ; mais il n’en serra nulles, car aussi le gentil chevalier, messire Thomas Burlé, mourut

  1. Sheen, aujourd’hui Richmond.