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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

bel châtel de Vindesore ; et avoit si courtoise prison qu’il pouvoit aller partout ébattre, jouer et voler des oiseaux environ Vindesore : de ce étoit-il reçu sur sa foi. En ce temps, se tenoit madame la princesse, mère du roi Richard d’Angleterre, à Vindesore[1], et sa fille de-lez elle, madame Mahault, la plus belle dame d’Angleterre. Le comte de Saint-Pol et cette dame s’entraimèrent loyaument et énamourèrent l’un l’autre ; et étoient ensemble à la fois en dances et en carolles et en ébatemens, tant que on s’en aperçut ; et s’en découvrit la dame, qui aimoit le comte de Saint-Pol ardemment, à madame sa mère. Si fut adoncques traité un mariage[2] entre le comte de Saint-Pol et madame Mahault de Holand ; et fut mis le comte à finance à six vingt mille francs[3], desquels, quand il auroit épousé la dame, on lui rabattroit soixante mille francs[4], et les autres soixante mille il paieroit : et pour trouver la finance, quand les convenances furent prises, le roi d’Angleterre fit grâce au comte de Saint-Pol de repasser la mer, et de retourner sur sa foi dedans l’an. Si vint le comte en France voir le roi et ses amis, le comte de Flandre, le duc de Brabant et le duc Aubert, ses cousins, qui le conjouirent liement. Le roi de France en cel an fut informé trop dur contre le comte de Saint-Paul[5] ; car on le mit en soupçon qu’il devoit rendre aux Anglois le fort châtel de Bouchain ; et le fit le roi saisir de main mise et bien garder, et montra le roi que le comte de Saint-Pol vouloit faire envers lui aucun mauvais traité ; ni onques ne s’en pot excuser ; et pour ce fait furent en prison, au châtel de Mons en Haynault, monseigneur le chanoine de Robertsart, le sire de Vertaing, messire Jaquemes du Sart et Girart d’Obies. Depuis se diminuèrent ces choses et allèrent à néant ; car on ne put rien prouver sur eux ; et furent délivrés ; et le comte de Saint-Pol retourna en Angleterre pour lui acquitter devers le roi, et épousa sa femme ; et fit tant qu’il paya les soixante mille francs en quoi il étoit obligé, et puis repassa la mer ; mais point n’entra en France, car le roi l’avoit en haine. Si allèrent demeurer, le comte et la comtesse sa femme au châtel de Hen sur Eure, que le sire de Morianmes, qui avoit sa sœur épousée[6], lui prêta, et là se tinrent tant que le roi Charles vesqui, car oncques le comte ne put retourner à son amour. Nous nous souffrirons à parler de cette manière, et retournerons aux besognes de France.


CHAPITRE XLVII.


Comment ceux de la garnison de Chierbourch déconfirent les François. Comment le fort château de Mont-Ventadour fut par trahison livré à Geffroy-Tête-Noire, et comment Aymerigot Marcel prit plusieurs forts au pays d’Auvergne.


En ce temps se tenoit toute Bretagne close[7], tant pour le roi de France que l’un contre l’autre, car les bonnes villes de Bretagne étoient assez de l’accord du duc, et avoient grand’merveille que on demandoit à leur seigneur ; et aussi étoient de leur accord plusieurs chevaliers et écuyers du pays, et la comtesse de Penthièvre, mère aux enfants de Bretagne avecques eux : mais le connétable de France, messire Bertran de Claiquin, le sire de Cliçon, le sire de Laval, le vicomte de Rohan et le sire de Rochefort, tenoient le pays en guerre avecques la puissance qui leur venoit de France. Car à Pont-Orson et

  1. Cette princesse, veuve du prince de Galles, père du roi Richard, avait épousé en premières noces Thomas Holland et avait eu de ce mariage Mahaut de Courtenay, qui fut mariée au comte de Saint-Paul.
  2. Le traité pour la rançon et le mariage du comte de Saint-Paul est imprimé dans Rymer et porte la date du 18 juillet 1379.
  3. Les lettres du 18 juillet 1379 disent seulement cent mille francs d’or, dont cinquante mille devaient être payés lorsque le comte de Saint-Paul serait arrivé à Calais, et les cinquante mille autres payés moitié à Noël et moitié à la Saint-Jean-Baptiste suivante. Pour sûreté du paiement le comte de Saint-Paul devait donner en otage son frère puîné, Pierre de Luxembourg, et livrer aux Anglais Guise ou Bouchain.
  4. Les conventions du 18 juillet 1379, dans Rymer, ne font point mention d’aucune remise en faveur de ce mariage.
  5. Ce n’était pas sans fondement que l’on avait donné au roi des impressions désavantageuses contre le comte de Saint-Paul. Suivant les conventions du 18 juillet 1379, le comte devenait homme-lige du roi d’Angleterre, renonçait à la vassalité du roi de France, livrait aux Anglais Guise ou Bouchain et tous ses châteaux en France, etc. Cet acte renferme les preuves les plus convaincantes de la félonie du comte de Saint-Paul.
  6. L’Histoire généalogique de la maison de France donne quatre sœurs au comte de Saint-Paul, mais on ne voit pas le nom du sire de Moriaumes ou Moriane parmi ceux de leurs maris.
  7. Froissart ne parle point ici de l’arrêt de confiscation de la Bretagne, du 4 décembre 1378, dont cette division des Bretons fut la suite, ce qui eut lieu en 1379.