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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

en ce voyage sus son lit, et plusieurs autres, si comme je vous recorderai avant en l’histoire quand temps et lieu viendront d’en parler.

Quand le roi Richard d’Angleterre qui se tenoit en la marche de Galles sçut la mort de messire Simon Burlé son chevalier et l’un de ses maîtres qui toujours l’avoit nourri et introduit, si fut durement courroucé. Si dit et jura que la chose ne demoureroit pas ainsi, et que à grand tort et péché et sans nul titre de raison on l’avoit mis à mort.

La roine d’Angleterre en fut durement dolente, et en ploura bien et assez, pourtant que le chevalier l’avoit amenée d’Allemagne en Angleterre. Or se doutèrent très grandement ceux qui étoient du conseil du roi, tels que le duc d’Irlande, messire Nicolas Brambre, messire Robert Tresilian, messire Jean de Beauchamp, messire Jean Sallebery et messire Michel de la Pole. Et fut ôté et démis de son office l’archevêque d’Yorch qui s’appeloit messire Guillaume de Neufville, frère germain au seigneur de Neufville de Northonbrelande, lequel avoit été un grand temps grand trésorier de tout le royaume d’Angleterre ; et lui fut dit et défendu de par le duc de Glocestre que il ne s’ensonniât plus, si cher comme il avoit sa tête, des besognes du royaume d’Angleterre, mais s’en allât demourer à Yorch, ou là environ où le mieux lui plairoit sus son bénéfice, et que trop s’en étoit ensonnié. Et lui fut encore dit et montré, que, pour l’honneur de son lignage et de lui qui étoit prêtre, on l’excusoit de plusieurs choses qui étoient grandement préjudiciables à son honneur ; et à ce que on lui disoit et faisoit à présent, tout le général conseil d’Angleterre s’inclinoit. Et lui fut encore dit et montré que la greigneur partie du conseil des bonnes villes, cités et ports d’Angleterre voulsissent bien qu’il fût dégradé et mort, semblablement comme messire Simon Burlé avoit été, car de tels amisses étoit-il pleinement encoulpé.

L’archevêque d’Yorch étoit tout vergogneux de ces paroles et remontrances et les porta au plus bellement qu’il put ; et aussi faire lui convenoit ; et en autres défenses ni excusances, il n’en eût jamais été ouï ni reçu, car ses contreparties étoient trop grandes et trop fortes. Si se départit de la cité de Londres, et s’en alla au nord demourer sus son bénéfice qui peut bien valoir par an quarante mille francs. De celle advenue, il, et tout son lignage, furent grandement courroucés, et pensèrent bien que messire Henry comte de Northonbrelande leur avoit tout brassé et attisé, quoique ils lui fussent de lignage, et prochains voisins marchissans de terres et de chastels.

Or fut en son lieu mis et établi un moult vaillant homme et sage clerc et qui grandement étoit en la grâce des oncles du roi, l’archevêque de Cantorbie, lequel est de ceux de Moutagu et de Sallebery, et en étoit le comte de Sallebery oncle[1]. Si furent mis au conseil du roi, par l’accord des cités et bonnes villes et ports d’Angleterre, le comte de Sallebery, le comte d’Arondel, le comte de Northonbrelande, le comte de Devensière, et le comte de Northinghen, et aussi l’évêque de Nordvich qui s’appeloit messire Henry le Despensier. Et toujours demeuroit le chancelier en son office, l’évêque de Wincestre, et de-lez les oncles du roi.

Tout le plus renommé du conseil, après le duc de Glocestre, c’étoit messire Thomas de Montagu l’archevêque de Cantorbie ; et bien le devoit être, car il étoit vaillant homme et sage durement, et mettoit grand’peine à ce que le royaume d’Angleterre fût reformé en son droit, et que le roi Richard leur seigneur eût ôté hors d’avec lui tous ses marmousets. Et souvent en parloit au duc d’Yorch, et le duc disoit : « Archevêque, les choses tourneront temprement autrement que le roi mon beau neveu et le duc d’Irlande ne cuident : mais il faut tout faire par point et par raison, et tant attendre que les choses viennent à leur tour : et de soi trop fort hâter n’a point de bon moyen. Si vueil bien que vous sachiez, que, si nous ne nous fussions aperçus de leur affaire, ils eussent tellement mené le roi monseigneur et ce pays, que sur le point de perdre : et bien ont sçu en France, le roi et son conseil, tout notre convenant, et en quel état nous gisons : et pour ce s’avançoient-ils sans doute de venir si puissamment par deçà pour nous détruire. »

  1. Johnes, dans les notes de sa traduction, relève l’erreur commise ici par Froissart. En 1381 c’était William de Courteney qui était archevêque de Cantorbéry, et il fut remplacé en 1391 par Thomas Fitz Allen, fils du comte d’Arundel.