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LIVRE III.

CHAPITRE LXXV.

Comment se tenant le conseil à Londres sur la réformation des gouverneurs du roi et du royaume d’Angleterre, le roi Richard, par le conseil du duc d’Irlande, fut d’accord de courir sus et porter guerre à ses oncles et à ses villes et cités.


Tout en telle manière comme les oncles du roi, et le nouvel conseil d’Angleterre qui se tenoit à Londres, et le plus à Westmoustier devisoient du roi et de son affaire et des besognes d’Angleterre, pour les reformer à leur semblant et entente et en bon état, ainsi visoient aussi et subtilloient nuit et jour le duc d’Irlande et son conseil, comment ils pussent demourer en leur état, et condamner les oncles du roi : si comme il apparut par la voie que je vous dirai. Quand le roi Richard d’Angleterre fut venu à Bristo et la roine avecques lui, ils se tinrent au chastel de Bristo qui est bel et fort ; et cuidoient ceux des lointaines marches, en sus de Galles, que le roi se tenist là pour la cause et faveur du duc d’Irlande qui avoit mis avant qu’il s’en iroit en Irlande, et lui aidât à faire ses finances et à multiplier sa compagnie. Car il lui étoit accordé du général conseil d’Angleterre, quand il se départit du roi et de ses oncles, que au cas qu’il iroit en ce voyage, il auroit aux coûtages d’Angleterre, cinq cens lances hommes d’armes, et quinze cens archers : et étoit ordonné qu’il y demoureroit trois ans, et toujours seroit-il bien payé.

Le duc n’avoit nulle volonté de faire ce voyage ; car il sentoit le roi jeune ; et pour le présent il étoit si bien de lui comme il vouloit ; et se doutoit, que s’il éloignoit la présence du roi, que l’amour et la grâce que le roi avoit sur lui ne fût éloignée aussi. Avec tout ce, il étoit si fort amoureux d’une des damoiselles de la roine qui s’appeloit la Lancegrove que nullement il ne la pouvoit laisser : et étoit une damoiselle assez belle et plaisante que la roine d’Angleterre avoit amené en sa compagnie et mise hors de Bohême dont elle étoit partie. Or l’aimoit le duc d’Irlande de si ardent amour, que volontiers il eût vu qu’il se pût être démarié de la duchesse sa femme, la fille au bon seigneur de Coucy : et y rendoit toute la peine comme il pouvoit, et jà en avoit-il fait escripre du roi au plus espécialement comme il pouvoit à Rome à celui qui s’appeloit pape Urbain sixième, et que les Anglois et les Allemands tenoient pour pape ; dont toutes bons gens en Angleterre étoient moult émerveillés : et le condamnoient moult fort, pourtant que la bonne dame étoit fille de la fille du bon roi Édouard et de la bonne roine Philippe d’Angleterre : et fut sa mère madame Ysabel. Donc ses deux oncles qui pour ce temps se tenoient en Angleterre, le duc d’Yorch et le duc de Glocestre, tenoient ce fait en grand dépit. Mais nonobstant leur haine, le duc d’Irlande n’en faisoit compte ; car il étoit si épris, si énamouré et si aveuglé de l’amour de la dessus dite, que il vouloit se démarier : et lui promettoit que il la prendroit à femme : et en feroit le pape de Rome dispenser, au cas que il avoit l’accord du roi et de la roine : et que le pape ne lui oseroit refuser ; car la dame, sa femme, étoit Françoise, et de leur créance contraire : et si avoit toujours le père, sire de Coucy, père de la dessus dite dame, fait guerre en Romagne et ailleurs pour Clément encontre Urbain ; pourquoi Urbain ne l’en aimoit pas mieux, et s’inclineroit tant plus légèrement à eux démarier. Tout ce mettoit-il avant et promettoit à Lancegrove de Bohême : et ne vouloit ouïr nulles nouvelles de sa femme de loyal mariage. Mais ce duc d’Irlande avoit une dame de mère qui s’appeloit comtesse du douaire, comtesse d’Asquesufforch, laquelle n’étoit pas de l’accord de son fils ; et lui blâmoit amèrement ses folies, et lui disoit que Dieu s’en courrouceroit, et l’en payeroit un jour, tellement que tard l’en viendroit à repentir : et tenoit sa fille la duchesse de-lez li ; et li étoffoit son état si avant comme elle pouvoit, d’elle et de ses gens, dont tous ceux qui aimoient la dame lui en devoient savoir bon gré.

Si comme je vous remontre et ai remontré des besognes d’Angleterre qui avinrent en celle saison, et pour venir au parfait, je vous en parlerai encore plus avant, si comme j’en fus informé.

Vous savez comment le duc d’Irlande se tenoit de-lez le roi d’Angleterre en la marche de Galles ; et n’entendoit à autre chose, nuit et jour, fors que de venir à ses ententes en plusieurs manières, et de servir le roi de belles paroles, et la roine aussi, pour eux complaire ; et attraioit toutes manières de chevaliers et d’écuyers, et de gens qui le roi et la roine venoient