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LIVRE III.

ordonne et institue tout le souverain de mon royaume, pour prendre gens partout où vous les pourrez avoir, et mener là où vous verrez que ce sera la greigneur honneur et profit pour tout notre royaume : et, afin qu’on voye plus clairement que la besogne est mienne, je vueil que vous portiez notre bannière et nos armes toutes pleines, en la forme et manière que les portons, par quoi vous aurez plus de peuple à votre accord ; et punissez les rebelles qui obéir ne voudront à vous, tellement que tous les autres s’y exemplient. Je crois bien que quand on verra mes bannières, toutes manières de gens s’y mettront dessous et douteront de mesfaire ou d’être mesfaits. » Celle parole réjouit grandement le duc d’Irlande.

CHAPITRE LXXVI.

Comment le roi d’Angleterre fit son mandement ès parties de Bristo, pour aller à Londres ; et comment messire Robert Trésilien, y étant envoyé pour espier, fut pris à Wesmoustier, et décollé par le commandement des oncles du roi.


Or fit le roi son mandement parmi la terre de Galles et sur les frontières et les bandes de Bristo et sur la rivière de Saverne : et furent les plusieurs barons, chevaliers et écuyers, du roi mandés. Les uns s’excusoient et faisoient les malades, et les autres, qui se doutoient de mesfaire, venoient vers le roi ou se mettoient en son obéissance si comme à leur seigneur, non-obstant qu’ils doutoient que mal aviendroit de la dite entreprise. Entrues que ces mandemens et ces assemblées se faisoient, le roi d’Angleterre et le duc d’Irlande eurent entre eux deux un conseil étroit et secret : et leur vint en imagination que ce seroit bon qu’ils envoyassent devant un certain féal homme des leurs en la marche de Londres, savoir comment on s’y maintenoit, et si les oncles du roi s’y tenoient, et quelle chose on y faisoit ou disoit. Tout considéré, on n’y savoit qui envoyer, pour bien faire la besogne et pour faire juste enquête. Adonc s’avança un chevalier, cousin au duc d’Irlande et de son conseil, et du conseil de la chambre du roi : et s’appeloit messire Robert Trésilien ; et dit au duc : « Je vous vois en danger de trouver homme fiable qui voise en la marche de Londres ; je me présente que je irai volontiers. Je suis content de me mettre à l’aventure pour l’amour de vous. » De cette parole lui sçut le duc d’Irlande bon gré, et aussi fit le roi. Il se départit de Bristo, en habit d’un povre marchand, et monté sur une basse haquenée : et chevaucha tant par ses journées qu’il vint à Londres : et se logea en un hôtel descongnu. Jamais on ne se fût avisé que ce fût Trésilien, un des chambellans du roi, car il n’étoit pas en habit d’homme de bien, fors que de vilain. Ce jour qu’il fut à Londres il apprit moult des nouvelles du duc d’Yorch et du duc de Glocestre et de son conseil, et des Londriens, voire ce qu’on en pouvoit savoir et non autre chose ; et entendit qu’à Wesmoustier devoit avoir un secret parlement des oncles du roi et du nouvel conseil d’Angleterre. Si s’avisa qu’il iroit celle part, et se tiendroit en la ville de Wesmoustier, et là apprendroit tout secrètement et quoyement quelle chose à ce parlement seroit avenue. Il ne défaillit pas de son propos, mais le suivit au plus justement que oncques put : et s’en vint à Wesmoustier, à ce jour propre que le parlement étoit au palais du roi : et se bouta en un hôtel devant la porte du palais du roi, là où l’on vendoit de la cervoise ; et monta en une loge, et s’appuya à une fenêtre qui regardoit en la cour du dit palais : et là se tint moult longuement. Et véoit les allans et retournans, regardant dedans et dehors, desquels il connoissoit grand’foison, mais point n’étoit connu, car nul ne s’adonnoit à lui à cause de l’habit. Tant se tint là une fois qu’un escuyer du duc de Glocestre, lequel connoissoit trop bien messire Robert Trésilien, car plusieurs fois avoit été en sa compagnie, vint d’aventure devant l’hôtel, et jeta ses yeux celle part et vit le dit messire Robert. Quand messire Robert le vit pleinement, tost il le reconnut, et tantost retray son viaire dedans la fenêtre. L’escuyer entra en grand soupçon et dit en soi-même : « Il me semble que j’ai vu Trésilien. » Adonc entra-t-il en l’hôtel et demanda à la dame, et lui dit : « Dame, par votre foi ! qui est cil, qui boit là sus. Est-il seul, ou accompagné ? » — « Par ma foi ! sire, répondit la dame, je ne le vous saurois nommer. Mais il a là été un grand temps. » À ces mots monta l’escuyer amont, pour lui encore mieux aviser. Il le salua, et vit tantôt que son entente étoit voire, mais il se feignit : et tourna sa parole, et dit : « Dieu gard’ le prud’homme ! Ne vous déplaise, beau maître ; je cuidois trouver un mien fermier d’Excesses ; car trop bien vous