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LIVRE III.

des Ports, si prendrez le chemin de Biscaye pour aller à Bayonne. C’est tout sur notre héritage : et de là pouvez vous aller à Bordeaux, sans le danger des François, et vous rafreschir à votre aise ; et puis, quand vous aurez vent à volonté, monter en mer et traverser le parfond ; et prendre terre en Cornouaille, ou à Hantonne, selon que le vent vous enseignera. »

À celle parole répondit messire Jean de Hollande, et dit qu’il le feroit, ni point de ce conseil n’istroit ; et s’ordonna sur cel état. Depuis n’y eut guères de séjour : mais se départirent le connétable et tous ses gens d’armes, et autres en sa compagnie ; et ne demourèrent de-lez le duc de Lancastre et la duchesse, fors les gens de son hôtel tant seulement. Et emmena messire Jean de Hollande sa femme avecques lui ; et s’en vint en la cité de Chamores[1], qui est moult belle et grande ; et là trouva le roi de Castille, messire Gautier de Passac, et messire Guillaume de Lignac qui lui firent bonne chère, ainsi que seigneurs font l’un à l’autre quand ils se trouvent. Et, au voir dire, le roi de Castille véoit plus volontiers le département des Anglois que l’approchement, car il lui sembloit que sa guerre étoit finie, et que jamais en la cause du duc de Lancastre tant de bonnes gens d’armes ni d’archers ne sortiroient hors d’Angleterre pour faire guerre en Castille ; et aussi il sentoit bien le pays d’Angleterre, comme ci-dessus vous ai conté, en grand différend.

Quand les nouvelles s’épandirent en plusieurs lieux, villes et cités où les maladieux anglois s’étoient retraits pour avoir santé, que messire Jean de Hollande se mettoit au retour pour aller en Angleterre, si en furent tous réjouis ceux qui affection avoient de retourner en leurs pays. Si se prirent tant plus près d’eux appareiller et mettre en sa route : et s’y mirent le sire de Chameux[2], messire Thomas de Percy, le sire de Helmton[3], le sire de Braseton[4] et plusieurs autres : tant qu’ils se trouvèrent plus de mille chevaux. Et étoit avis aux maladieux, qu’ils étoient guéris à moitié quand ils se remettoient au retour : tant leur avoit été le voyage, sur la fin, ennuyeux et pesant.

Quand messire Jean de Hollande prit congé au roi de Castille, le roi le lui donna liement, et aux bons barons et chevaliers aussi de sa route ; et leur fit à aucuns, pour son honneur, délivrer et présenter de beaux mulets et des genets d’Espaigne ; et leur fit payer tous leurs menus frais qu’ils avoient faits à Chamorre. Adonc se mirent-ils à chemin, et vinrent vers Saint-Phagon : et là se rafreschirent-ils trois jours : et par tout étoient-ils les bien venus, car ils avoient des chevaliers du roi qui les conduisoient, et ils payoient tout, par tout où ils venoient, ce qu’ils prenoient. Tant exploitèrent qu’ils passèrent Espaigne : et la cité de Navarret où la bataille fut jadis, et Paviers[5] : et vinrent au Groing : et là s’arrêtèrent, car encore ne savoient-ils certainement si le roi de Navarre les lairroit passer. Si envoyèrent devers lui deux de leurs chevaliers, messire Pierre Bisset et messire Guillaume de Nordvich. Ces deux chevaliers trouvèrent le roi à Tudelle en Navarre. Si parlèrent à lui ; et exploitèrent si bien qu’il leur accorda à passer parmi Navarre, en payant ce qu’ils prendroient ; et se départirent du Groing, si tôt comme leurs chevaliers furent retournés, et se mirent à chemin ; et exploitèrent tant qu’ils vinrent à Pampelune ; et passèrent les montagnes de Roncevaux ; et laissèrent le chemin de Béarn et entrèrent en Biscaye pour venir à Bayonne ; et tant firent qu’ils y parvinrent. Et là se tinrent un long temps messire Jean de Hollande et la comtesse sa femme ; et les aucuns de ces Anglois s’en vinrent à Bordeaux. Ainsi s’espardit cette chevauchée.

Avenu étoit en Castille, endementiers que le plus fort des armes couroit, et que chevaliers et écuyers chevauchoient, et que les Anglois tenoient les champs, que messire Boucicaut, l’ains-né des deux frères, tenant aussi les champs, avoit envoyé, par un héraut, requerre armes à faire, de trois courses de glaive à cheval, de trois coups d’épée, de trois coups de dague, de trois coups de hache, et toujours à cheval, à messire Jean d’Aubrecicourt. Le chevalier lui avoit accordé liement, et l’avoit depuis demandé en plusieurs lieux, mais messire Boucicaut ne

  1. Zamora.
  2. Chymwell.
  3. Froissart n’ayant pas donné de prénom à ce chevalier, je ne puis le reconnaître d’une manière précise dans les trois listes des chevaliers de la suite du duc de Lancastre données par Rymer à l’année 1386.
  4. Bradestan.
  5. Je ne trouve entre Najarra et Logrogno aucun lieu dont le nom ressemble à Paviers.