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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Publié fut partout que toutes gens d’armes se pouvoient bien partir, et devoient issir hors d’Espaigne et retourner en France, car il étoit ainsi ordonné et accordé des souverains. Mais encore demeuroient messire Olivier du Glayaquin, connétable de Castille, et les maréchaux, et environ trois cens lances de Bretons et de Poitevins, et de Saintongiers. Or se mit au retour le duc de Bourbon, quand il eut pris congé au roi, à la roine, et aux barons de Castille. Si fut convoyé jusques eu Groing, et entra en Navarre. Par tout où il venoit et il passoit, il étoit le bien venu, car ce duc a, ou avoit, grand’grâce d’être courtois et garni d’honneur et de bonne renommée. Le roi de Navarre le reçut grandement et liement, et ne lui montra oncques semblant de mal talent ni de haine qu’il eut contre le roi de France qui lui avoit fait tollir son héritage de la comté d’Évreux en Normandie. Car bien savoit que le roi, qui pour le présent étoit au duc de Bourbon nepveu, n’y avoit nulle coulpe ; car pour le temps que ce fut, il étoit encore moult jeune. Mais il lui remontra doucement toutes ses besognes, en lui suppliant qu’il voulsist être bon moyen envers son cousin le roi de France, pour lui, et il lui en sauroit bon gré. Le duc de Bourbon lui eut en convenant, de bonne volonté ; et sur cel état il se départit de lui, et passa parmi le royaume de Navarre tout paisiblement ; et aussi toutes manières de gens d’armes qui passer vouloient ; et rappassèrent toutes les montagnes de Roncevaux, et tout au long du pays des Basques, et entra le duc de Bourbon en Béarn, à Sauveterre.

CHAPITRE LXXXVIII.

Comment le comte de Foix reçut honorablement le duc de Bourbon, et des beaux dons qu’il lui fit ; et comment les gens messire Guillaume de Lignac et messire Gautier de Passac saccagèrent la ville de Saint-Phagon, en partant d’Espaigne, dont le roi d’Espagne montra courroux à ces deux capitaines qui étoient encore près de lui.


Quand le comte Gaston de Foix qui se tenoit à Ortais entendit que le duc de Bourbon étoit à Sauveterre, si en fut moult réjoui ; et manda une partie de sa meilleure chevalerie, et se départit un jour en grand arroy, bien à cinq cens hommes, tous chevaliers et écuyers, et gens notables, moult bien montés. Et s’en vint sur les champs, au dehors de la ville d’Ortais, et chevaucha bien deux lieues à l’encontre du duc de Bourbon qui chevauchoit aussi en belle route de chevaliers et d’écuyers. Quand le duc et le comte s’entre-rencontrèrent, ils se conjouirent grandement, et se recueillirent amiablement, ainsi que tels hauts seigneurs savent bien faire, car ils y sont tous nourris. Et quand ils eurent une espace parlé ensemble, comme me fut conté quand je fus à Ortais, le comte de Foix se trait à une part sur les champs, et sa route avecques lui, et le duc de Bourbon demoura en la sienne. Adonc vinrent, de par le comte de Foix, trois chevaliers lesquels se nommoient messire Espaing de Lion, messire Pierre de Cabestain et messire Menault de Novailles ; et vinrent devant le duc de Bourbon, et lui dirent ainsi : « Monseigneur, véez cy un présent, que monseigneur de Foix vous présente à votre retour d’Espaigne, car il sait bien que vous avez eu plusieurs frais. Si vous donne, à bonne entrée en son pays de Béarn, huit mille francs, ce mulet, ces deux coursiers, et ces deux pallefrois. » — « Beaux seigneurs, répondit le duc, grand mercy au comte de Foix, mais tant qu’aux florins, nous répondons que nuls nous n’en prendrons, mais le demourant nous recevrons, de bonne volonté. » Ainsi furent les florins refusés[1], et les chevaux et le mulet retenus. Assez tôt après vint le comte de Foix côte à côte du duc, et l’amena, dessous son pennon, en la Ville d’Orrais, et le logea en son hôtel, et tous ses gens furent logés en la ville. Si fut le duc trois jours à Ortais, et y eut de beaux dîners et de grands soupers. Et montra le comte de Foix au duc de Bourbon une partie de son état ; lequel, tant qu’en seigneuries, fait moult à recommander. Au quatrième jour le duc prit congé au comte, et le comte fit et donna aux chevaliers et écuyers du duc, de beaux dons, et me fut dit que la venue du duc de Bourbon coûta au comte de Foix dix mille francs. Après toutes ces choses il se départit, et s’en retourna en France. Ce fut par Montpellier, et par la cité du Puy, et par la comté de Forez dont il est sire de pàr madame sa femme[2].

  1. D’Oronville dit au contraire, dans sa Vie de Louis III, duc de Bourbon, que le duc fit demander quinze mille francs à emprunter au comte de Foix.
  2. Selon d Oronville, le duc de Bourbon détruisit en passant quelques villes du Bordelais, puis se rendit à